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Ne perdez pas votre temps
avec des explications :
les gens entendent ce qu'ils veulent bien entendre.

Paul Coelho

Maintenant

Pour la première fois depuis longtemps, je me retrouve en voiture avec ma mère, mon père et mon frère. Cela n'était plus arrivé depuis mes six ans, quelques jours avant la désertion de mon père. L'ambiance est aussi froide et mauvaise que ce fameux dernier " jour normal en famille ". Mon père conduit et est concentré sur la route, ma mère assise sur le siège passager est tendue et ne détourne pas son regard du paysage qu'elle observe par la vitre. Mon frère quant à lui paraît détendu, comme si l'on n'était pas entrain de m'emmener de force chez les fous ou bien comme si la situation était normal alors même que nos parents sont divorcés depuis plus de dix ans et que cela faisait plusieurs années que nous n'avions pas vu notre paternel. Mon frère est d'un optimisme effrayant. Je remarque tout de même qu'il ne peut s'empêcher de bouger sa jambe droite, signe qu'il est stressé. Ah ! il cache bien son jeu le petit malin, comme si en se forçant à être joyeux et à l'aise il allait nous communiquer un peu de bonheur et rendre la situation moins surréaliste et lugubre. C'est peine perdue car le silence règne dans l'habitacle et rien ne pourra changer cela. Nous ne sommes plus une famille, nous nous connaissons a peine, nous sommes des étrangers les uns pour les autres désormais. Voilà ce qu'il reste de ma famille : des individus évoluant côte à côte sans jamais prendre la même route. C'est triste à dire mais c'est la cruelle vérité. Ma famille n'existe plus à mes yeux.

J'observe quelques instants le tressautement de la jambe de mon frère. Je perds toute notion du temps et fait le vide dans ma tête. Je ne pense plus à rien, ni à ce que j'ai tenté de faire ni à ce qu'il va m'arriver dans moins de deux heures. Je ne veux plus penser. Mes yeux me piquent et je suis obligée de cligner des yeux. Je reprend contact avec la réalité et m'aperçois que Clément me fixe. Je plonge mon regard dans ses magnifiques yeux azur et m'y noie. Mon frère est le seul être sur Terre encore capable de me faire sourire et rire. Intérieurement, bien sûr. J'ai appris à mon réveil forcé que c'est lui qui m'avait sauvé la vie après ma tentative de suicide. D'après les médecins j'avais eu de la chance qu'il arrive maintenant car à deux minutes près et j'étais perdue. D'après moi c'était plutôt une malchance, tant par le fait que je n'étais toujours pas morte que par le fait que mon frère ait dû me voir dans cet état. Malgré tout, c'est le seul à ne pas m'avoir jugé, il n'a rien dit. Comme si ce n'était qu'un cauchemar, et d'ailleurs peut-être tente t-il de s'en convaincre. Ma relation avec mon frère n'a pas toujours été aussi fusionnelle, on a connus des débuts plutôt ardu. Il me frappait et moi je l'insultais en retour, nous menions un combat permanent l'un envers l'autre. Tous les coups étaient permit pour faire chier l'autre. Je ne saurais dire ce qui a changé mais avant que je ne m'en rende compte j'avais un vrai grand frère à qui je pouvais me confier et qui me défendais des méchants de la cour d'école. Aujourd'hui encore, je remercie le ciel de m'avoir offert ce replis, ce cadeau ou même cette chance.

- Toujours dans la lune Léochon ?

La voix de mon frère m'arrache à mes pensées et me ramène dans le présent. J'hoche la tête et un sourire se forme sur ses lèvres mais ce n'est pas son sourire habituel, celui qui lui fait de mignonnes fossettes.

- Tu vas passer une demie année dans une maison grouillant de fou en tentant de leur faire comprendre que tu n'as rien à faire là bas mais tu ne décroches toujours pas un mot ? M'interroge t-il.

Haussement d'épaule.

- Peut-être qu'en effet c'est bien que tu ailles là bas !

Nouveau haussement d'épaule.

Les Mots de mon SilenceOù les histoires vivent. Découvrez maintenant