Neriad

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"Café de Cayenne" 76 avenue de Chales-Worstown :13H10

Des chaussures en peau de crocodiles ,un pantalon vert sans plis en velour ,une chemise Lacoste de la collection d'été ,plus très adaptée au temps de novembre ,une veste noir qui touche le sol ,un chapeau qui trône sur un crâne déguarni dégageant une impression de sagesse ,de calme ,de sérénité ,de vie ,une peau noire comme l'onyx ,ridée par le râteau du temps qui ne laisse rien s'échapper ,des yeux profonds, humides et vifs ,pétillants ,des lèvres aimantes et un menton disparaissant dans un excédant de peau. À 82 ans Neriad est ce qu'on apelle un véritable excentrique ,il est assis au café de Cayenne ,sa chaise est tournée vers l'autre côté de la rue ,dans sa main droite sa montre ,dans sa main gauche une gauloise à peine entamée ,à côté de lui un café avec deux sucres sinon il ne le boit pas. Il observe ,tantôt sa montre tantôt la foule qui se presse devant l'immeuble en face, la principale banque de la ville. Sa lèvre voluptueuse s'étire sur un côté de sa joue ,narquois,il n'observe plus ,il est devenu spectateur d'un spectacle que lui seul voit. 13H12 ,il porte sa clope à ses lèvres ,ferme les yeux la tête légèrement renversée vers l'arrière ,inspire longuement,expire. La fumée lui passe devant les yeux ,il la chasse pour ne pas rater une seule seconde de ce qu'il semble attendre avec impatience à présent ,regardant sa montre encore une fois. 13H13 ,il souris pleinement ,pose le filtre sur ses lèvres , ferme les yeux ,le tabac bientôt entièrement consumé rougis ,puis explosion ,un sond aigu dans les oreilles le monde aussi rougis ,il voit les gens crier voit les débris voler ,le ciel fumer, il voit la mort la misère ,il voit la vie s'éteindre devant lui, trônant sur son siège en osier ,et tout ce supplice lui est dédié ,il est le roi de ce spectacle ,tout brûle tout fume tout n'est rien que bruit et fracas ,l'avenue sent la peur et le brûlé ,les gens tombent au sol s'enfuient ou restent sur place la bouche ouverte. Expiration. Un serveur lui prend le bras et l'entraîne au loin en l'houspillant de questions. Est ce que ça va ? Il ne l'entend pas son appareil est cassé ,en plus de cela il n'a pas fini son café et on le dérange. Il fait oui de la tête pour se debarasser de cet énergumène mouvementé ,il n'y a pas de quoi s'inquiéter voyons il n'est pas surpris c'est lui qui a voulu tout ça. L'autre sauvage s'est éloigné ,il écrase de son talon la cigarette qui quelques secondes plus tôt était entre ses lèvres puis continue sa route entre les arbres rouges-orangés de l'avenue. C'est drôle se dit-il, comme on a qu'à tourner le dos à l'horreur pour y échapper. Il se retourne en entendant les sirènes chanter et hop malheur ! Il se retourne encore et hop ! Bonheur. Qu'est ce que la vie est simple ,personne ne saura jamais que cette bombe fait main à été confectionnée de la sienne ,utile en tant qu'ancien agrégé de physique. Il se concentre à présent sur le but de cette opération comme il aime l'appeller ,et se pose la question qui le taraude depuis des années :« Qu'est ce que ça fait Neriad ? Comment te sens tu maintenant que le terme coupable t'es attribué ? » il s'arrête un instant les mains dans les poches ,tape dans une pierre ronde puis relève la tête. Rien ,vide ,voilà comment il est ,il n'a rien ressentit impossible ! C'est pourtant ce qu'il désirait ! Ressentir ce que cela fait d'être coupable ,d'être meurtrier. Est ce donc cela ? Un grand vide ? Non impossible il ne peut pas le croire, il faut recommencer jusqu'à en avoir le coeur net ,il veut ressentir ce que jamais dans sa vie il n'a ressentit ,la culpabilité. Jusqu'à sa mort il poursuivra cette obsession, jusqu'à obtenir satisfaction, jusqu'à réussir à se sentir coupable ,inhumain ,meurtrier, sali ,et tant qu'il ne sera pas satisfait il recommencera. Il salua une vieille dame qui le croisa ,puis pensa enfin à epousseter les particules de poussière couvrant ses épaules.

Ce que la vie nous opposeOù les histoires vivent. Découvrez maintenant