Chapitre 6

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Alors que j'avançais à travers ce dédale de bureaux préfabriqués où s'entassaient des dossiers sur lesquels travaillaient des femmes portant des cornes, j'entendais raisonner le bruit de mes talons hauts. J'étais satisfaite, mon rapport avait su faire parler de moi en haut lieu et j'allais enfin quitter ces bureaux sordides. Même si je n'avais pas à me plaindre, puisque j'avais un pote hiérarchiquement plus haut, que toutes ces bonnes femmes me dévisageaient, que j'avais mon propre bureau. Mais je voulais plus, beaucoup plus. J'allais enfin être reconnue à ma juste valeur. Mon rapport avait fait mouche. Une intouchable placée sous protection divine qui plus est. Il méritait bien ce qui allait lui arrivait, ce petit prétentieux.

Je devais me dépêcher, l'envoyé du conseil ne devrait plus tarder et il fallait encore que je termine de remplir ce fichu formulaire de destruction. Des papiers toujours des papiers, il y a beaucoup trop de formulaires à remplir. A une époque, un Boss suffisait mais il a fallu qu'il délègue et fragmente ses troupes.

Quand je passais enfin la porte de mon bureau, c'était pour m'apercevoir qu'une colonne de paperasse s'y empilait déjà. Je poussais un grand soupir et m'installais sur mon fauteuil. Je jetais un rapide coup d'œil aux intitulés des premiers dossiers : « Obtention cornes », « Récupération âmes », « Manifestation angélique ». Attendez ! Comment ça « Manifestation angélique » ? Ces gourdins se sont encore trompés de service. J'attrapais le dossier et me levais de mon siège, elles arrivaient toujours à gâcher ma bonne humeur. J'ouvris la porte en grand et me retrouvais face à un mur sombre. Je levais lentement la tête et vis qu'en réalité, il s'agissait d'un homme d'au moins deux mètres, une montagne de muscles. Il portait l'un de ces grands manteaux noirs avec capuche, à rabat au niveau du visage, je ne voyais donc que ces yeux jaunes brillants. J'ai cru que mon cœur allait s'arrêter, enfin si j'en avais eu un, il se serait sûrement arrêté ! Mais en réalisant qui était cet homme, ma bonne humeur revint aussitôt.

- Vous êtes l'envoyé du conseil, vous avez fait vite.

Je lui lançais mon regard le plus aguicheur. Auquel il répondit par un grognement avant de m'écarter d'une main et d'entrer dans mon bureau. Comme si on pouvait avoir de meilleur réaction de la part de ces machines à tuer mais j'avais essayé. Je savais pourquoi il était là, il venait simplement chercher ses ordres. Je me dirigeais vers le dernier tiroir de mon bureau et sorti le dossier numéro 12.12, « Destruction ».

- Vous avez tellement fait vite que je n'ai pas encore eu le temps de le remplir, vous savez ?

- La chasse ne sera donnée qu'avec l'ordre !

- Je sais, veuillez m'excuser c'est la première fois pour moi ! Je n'avais encore jamais demandé la destruction d'un de mes élèves.

Tu parles, j'ai rempli ce dossier tellement de fois que je n'arrive plus à les compter. Remplir ce dossier, je trouve ça plutôt orgasmique. J'allais remplir le dossier quand mon interlocuteur marmonna qu'il voulait des détails avant l'ordre. C'était une première, d'habitude ils prennent l'ordre et se mettent en chasse.

- Des détails ?

- Oui. C'est un cas spécial, non ?

- Spécial, oui. Eh bien, un étudiant a voulu dérober l'âme promise au Boss depuis la grande distribution des pouvoirs. Donc la règle est simple, il...

- Je connais la règle « Tout âme destinée au Chef suprême du monde souterrain ne doit pas être subtilisée sous peine de destruction », article 2 du Code Infernal.

Je restais bouche bée apparemment mon interlocuteur avait un cerveau, c'était assez rare chez les chasseurs, même quasiment inexistant. Ils étaient programmés pour tuer, ancien agent de l'inquisition, ils avaient vendu leurs âmes pour continuer à détruire. « Les agents du mal » comme il les appelle. Mais sans un ordre, il ne reste que des lavettes, incapable de prendre la moindre décision seul, pour dire, ils ne sauraient même pas s'ils veulent un café ou un cappuccino devant un distributeur.

- Bref. L'âme doit rester intacte, compris ? On n'élimine que la cible !

Il répondit d'un « hum » approbateur. Il tendit la main pour récupérer l'ordre que je venais de finir de remplir. Contrairement à ses collègues, il prit le temps de lire et de poser ses questions.

- L'âme est une intouchable ?

- Oui.

- Bénéficie-t-elle d'une protection contre moi ?

- Non, elle est vulnérable face à vous, comme toutes enchanteresses, c'est pour ça que je viens de vous dire : PAS TOUCHER !!

- Et la cible ?

- Il n'a pas encore sa fourche. Donc un quota limité de pouvoirs et la faiblesse de tous ces apprentis diables « l'Aube ».

Depuis la création de l'académie, on ne comprenait pas vraiment mais tous les étudiants étaient fragiles aux premiers rayons du soleil. C'était la période adéquate pour les attaquer.

Finalement, mon interlocuteur se leva et quitta la pièce. Avant de partir, je tenais à lui préciser une dernière chose.

- Chasseur ! N'oubliez pas de me ramener ses yeux.

- Ne vous inquiétez pas, vous aurez prochainement sur votre bureau, les yeux de Dante Van Hermann...

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Je m'assis en sursaut dans mon lit, j'étais revenue à moi. J'étais en sueur. Je venais de faire le rêve le plus étrange de ma vie. J'avais été dans le corps de l'inspectrice Milena Naskatov, j'avais ressenti ses émotions, ses envies, ses craintes. Je savais que c'était elle, comme quand on rêve d'une personne mais que son image est différente. On a alors cette certitude que c'est lui. Plus qu'une certitude, ce rêve avait été frappant de réalité. Ça arrive souvent de rêver et de penser que c'est vrai mais c'est rien comparé à ce rêve. Mais pourquoi avait-elle voulu du mal à Dante ? Et ce chasseur dans le monde réel, c'était après moi qu'il en avait, pas lui ? Et si tout cela était vrai, ça voudrait dire que Dante en veut à mon âme ? Non, non, c'est impossible.

Il fallait que je prenne l'air. Une fois levée, je m'aperçus que Dante n'était plus dans la chambre. Je me dirigeais vers la porte et sortit. Dante était là assis sur les marches du perron. Il ne m'avait pas entendu sortir.

- Tu n'arrives plus à dormir ?

Son petit sursaut me fit comprendre que je l'avais tiré de ses pensées.

- Non, je ne dors pas beaucoup, quelques heures me suffisent.

J'allais m'assoir à ses côtés. Je sentais la chaleur de son corps, j'avais toujours trouvé étrange qu'il fasse si chaud près de lui mais là c'était plutôt réconfortant.

- A quoi tu penses ?

- A notre rencontre avec les Tantes, au prix à payer pour continuer à te protéger.

Il eut un curieux sourire amer, alors un affreux doute et les images de mon rêve m'assaillirent.

- Dante, je suis devenu un poids pour toi ?

Le visage de Dante changea, comme si je venais de dire la plus grosse ânerie de tous les temps.

- Mais non, pas du tout. Je parle du prix à payer aux Tantes. Elles accordent rarement leur service gratuitement. Mais tu n'es pas un poids, loin de là.

- C'est à propos des Tantes que tu es si inquiet ? Si elles sont si dangereuses, n'allons pas les voir.

Dante replongea dans ses pensées comme si ce que je venais de lui dire le faisait réfléchir. Mais finalement, il ne se rangea pas à mon avis.

- Non, il faut aller les voir. Beaucoup trop de choses ne marchent pas comme je l'avais prévu. Il y a trop de danger autour de toi. Il serait dommage qu'il t'arrive quelque chose. Je suis prêt à prendre le risque avec les Tantes.

Cette déclaration fit s'envoler tous mes doutes. Ce rêve n'était finalement qu'un rêve provoqué par tous les événements de la journée. Dante ne me ferait jamais de mal. J'en suis sûre.


Mon diable d'ange gardien !Où les histoires vivent. Découvrez maintenant