Chap. 3 - La rencontre.

30 2 0
                                    

Le travail n'arrête pas. Tout le monde court dans tous les sens, se bousculant parfois. Je ne sais pas trop où donner de la tête, passant tantôt de la salle à la cuisine, parfois au bar, sans prendre aucune pause d'aucune sorte. Je sens la fatigue venir de temps à autre, mais je sais que Bobby compte sur moi. Je croise quelquefois Gretta, qui a pris l'initiative de s'occuper des décorations de table. Je m'arrête quelques minutes au bar, mes jambes flageolant doucement. Une ombre obscurcit le bois du bar, sur lequel je m'appuie. Je lève lentement les yeux et vois mon amie, devant moi, comme toujours rayonnante. Elle se tient là, debout, souriante.

- Alors, on se laisse aller ?

- Je suis fatiguée... J'aimerais avoir un minimum de force pour ce soir !

- Viens, c'est l'heure de se pomponner !

Sans que j'ai le temps de dire ou penser quoi que ce soit, Gretta m'avait déjà traîné dans l'arrière-boutique, encore une fois. Elle n'a bien sûr pas omis d'emporter avec elle les sacs de nos achats du matin. Elle m'installe sur une chaise, juste devant un grand miroir en bois, et pose ses douces mains sur mes épaules. Elle me regarde de haut en bas, sort la robe du sac et la pose devant moi.

- Enfile ça, et vite !

Je m'exécute. Je me faufile jusqu'aux cabinets de toilette, où je me change tranquillement. Je m'arrête, me perdant dans mes pensées. Et si quelqu'un se doutait de quelque chose ? Si le Führer ne m'appréciait pas ? Si je n'étais pas à la hauteur ? Un bruit me sort de ma pensée, Gretta frappe à la porte. Elle marmonne une question, que je suppose être quelque chose dans le genre de « Qu'est ce que tu fabriques ? ». Je me sens obligée de sortir du cabinet, n'étant pas très sûre de moi. Mais je n'en dis rien. Je n'ai pas envie d'infliger mes doutes à une fille aussi sûre d'elle. Je sais pertinemment ce qu'elle va me répondre. Je me contente de me réinstaller sur la chaise de bois, devant ce grand miroir, et d'observer Gretta coiffer mes cheveux. Elle fait toujours des miracles avec ma tignasse brune. Je ne sais trop quelle envie lui prit aujourd'hui, mais elle décide de réaliser un joli chignon, tiré à quatre épingles, ne laissant aucun cheveu virevolter. Tout est parfait - presque trop -, et se mari étrangement bien avec la certaine négligence du tissu léger de la robe. Je ne me reconnais presque pas, dans ce grand miroir. J'ai rarement l'habitude de me voir ainsi préparer, et Gretta faisait toujours des merveilles ! Mon regard glisse doucement vers son reflet. Je la vois intriguée, m'observant attentivement, dans une posture semblant remettre en question tout ce que je viens d'approuver. Mon visage prend alors une expression d'étonnement, et Gretta se met à sourire.

- Tu es parfaite !!

- Tu m'as fait peur, un instant, je me suis dit que rien n'allait !

Gretta rit de bon cœur. Elle semble apprécier une certaine naïveté dont j'étais reine. Alors qu'elle connaît presque tout du monde par l'influence que portent ses parents, je n'en connais rien. Rien, mis à part ma maison, le chemin menant au restaurant, celui menant à l'appartement de Gretta. Et les gros titres des journaux qu'elle ne manque jamais de me flanquer sous le nez. La tête que je fais devait être hilarante, car elle rit un long moment. Si bien que je manque de me vexer. Mais en y regardant bien, il est vrai que j'étais risible. Bien habillée, à tirer une tête de six pieds de long. Je me mets à rire à mon tour. J'étais difficile à faire rire. Vivant souvent dans la peur et l'incompréhension, je suis devenue quelqu'un de terne et de morose. La solitude qui m'entoure chez moi me suit partout où j'allais, et rien n'arrive à me faire sourire. C'est une chose aussi simple qu'un reflet qui me fait exploser de rire pendant plusieurs minutes, de longues minutes, alors que je n'ai plus ri depuis des mois. Mais ce fut, hélas, un cours instant. Les pas lourds de Bobby s'approchent dans le couloir, et Gretta et moi arrêtons immédiatement notre hilarité. La silhouette enrobée de ce cher Robert Van Drischt se dessine dans le miroir, juste derrière nous, mains sur les hanches. Et sa voix rauque, pincée d'un léger ton autoritaire, s'élève dans la pièce.

A l'ombre de ses plumesOù les histoires vivent. Découvrez maintenant