Chap. 4 - Brunch hivernal.

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Un éclat de voix me tire subitement du sommeil. Suivi d'un bruit de vaisselles brisées. Étonnée et perdue, je descends en quatrième vitesse l'escalier en bois, traverse le salon et atterrit dans la cuisine, où ma mère se tient là, debout, immobile. Au sol, un bol est brisé en mille morceaux. Je sens la tension dans la pièce, et me doute que mon frère, David, y est à l'origine.

- Que s'est-il passé ?

- Tu le sais très bien, Raphaëlle.

Ma mère, Myriam, entreprend de ramasser les bouts de porcelaine. En en ramassant un, elle se coupe, et je m'avance pour l'aider, inquiète.

- Arrête ! S'il te plait, Raphaëlle, arrête.

- Mais qu'est ce que j'ai fait ?

- N'as tu pas passé ta soirée au milieu de soldats allemands contre qui tu es censée te battre ?

- Maman, on en a déjà parlé...

- Non, Raphaëlle. C'est pour ça que tout ceci arrive. David n'arrive plus à comprendre, il est de plus en plus en colère contre tout ça ! Et toi, tu ne fais qu'empirer les choses.

Je sens sa colère dans ses mots. Jamais elle ne s'était énervée. C'était un modèle de calme et de sérénitude. Si aujourd'hui, elle est en colère, c'est qu'elle a une bonne raison. Et d'un côté, je la comprends. Entièrement. Mais d'un autre, je n'ai pas envie de vivre dans la peur de me voir un jour martyrisée par ces antisémites. J'ai envie de vivre, de grandir, de m'amuser. Plus énervée et triste que compréhensive, je quitte la cuisine à la hâte, enfile une robe du dimanche, des chaussures lustrées, et attrape ma veste d'hivers. Je traverse une fois de plus la maison, mais cette fois, je ne m'arrête pas à la cuisine. Maman nettoie encore les frasques de mon frère, et je la sens m'observer en quittant la pièce. D'un pas actif, je m'empresse de rejoindre la porte de la boutique, pour en sortir au plus vite. Mon père me lance un salut timide, s'étant réfugié dans son épicerie le temps que l'orage passe. Je lui réponds furtivement et me glisse dans la rue. Dehors, l'agitation est palpable. J'ignore tout de ce qu'il se passe. Mais une foule compacte envahit la rue, et ce jusqu'à la Postdamer Platz. Ce qui contribue à alimenter ma colère. Bousculant les passants, je réussis à me frayer un chemin jusqu'à la place, mais la foule se presse devant le Palast Hotel. Irritée, je pousse encore des gens, qui ne perdent pas leur temps pour m'envoyer quelques insultes. Je me fraye un chemin temps bien que mal jusqu'à l'entrée de l'hôtel. Connaissant les employés, j'y entre sans grands soucis, et me dirige vers l'ascenseur, où je me laisse aller. Cinq. Cinq étages à gravir. La sonnerie de l'ascenseur retentit, stridente, me faisant sursauter. Je quitte la minuscule pièce pour me faufiler dans le couloir. Une grande porte en bois sculpté m'attendait au bout du lumineux corridor. Je m'arrête à ses pieds, respire un grand coup et sonne. Des pas pressés arrivent jusqu'à la porte, qui s'ouvre sur Gretta, en tenue du dimanche. Elle porte une jolie robe d'un bleu pâle chaleureux, ornée de dentelle légère. Ses cheveux, tirés à quatre épingles, comme à son habitude, forment un chignon soigné et droit, laissant ressortir son joli visage. Aux pieds, elle porte de jolies bottines lacées, avec un petit talon qui suffit à ajuster sa silhouette. Elle me regarde, surprise, avec ses grands yeux bleus.

- Mais, Raphaëlle, qu'est ce que tu fais ici ? Je ne t'avais pas dit !

- Désolée, je débarque à l'improviste, mais je me suis pris la tête avec Maman...

- Non mais en fait, tu tombes pile bien ! Le Führer a décidé de venir plutôt, du coup, au lieu d'un repas, nous faisons un brunch, donc c'est parfait que tu sois ici !

Elle me fait entrer dans le grand appartement qu'elle habite. Des voix s'élèvent du salon, et la mère de Gretta, Astrid Friedrisch, apparaît dans le couloir. Elle s'avance vers nous, un petit sourire aux lèvres.

A l'ombre de ses plumesOù les histoires vivent. Découvrez maintenant