Chap. 10 - Changements

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— Tu es sûre de ne pas vouloir de cette promotion ?

— Je suis vraiment navrée d'avoir à refuser. Mais comprenez bien que...

— Je comprends, je comprends, rassure-toi. Je suis juste un peu déçu.

Je suis dans le bureau du Führer. Nous sommes encore le matin, je perçois un bout du ciel par la fenêtre. Il est gris, rempli de sombres nuages, tous aussi menaçants ; l'orage ne saurait tarder... Adolf regarde dans le vague, comme perdu dans ses pensées. Je ne sais pas trop quoi faire, quoi dire. Un blanc gênant s'installe dans la pièce, brisé seulement par le tapotement des doigts du Führer sur le bureau de bois. Je regarde sa main, et ses doigts qui rythment le silence. Adolf s'arrête, et me lance un regard.

— Tu es donc sûre de ton choix ?

— Sûre, oui.

— Bien, alors fais venir Gretta.

Je sors de la pièce et retourne à mon bureau. Gretta est installée au sien, face à moi, mais ne me lance pas un regard, pas un seul. Elle continue à trier ses feuilles en silence. Je la regarde un temps, tentée par l'envie de lui dire quelque chose. Mais rien ne me vient. Au bout de quelques minutes, je me décide enfin à lui dire qu'Adolf l'attend dans son bureau. Elle se lève et se dirige vers la pièce. Une fois la porte fermée, je souffle un bon coup. La tension entre Gretta et moi était de plus en plus pesante, depuis quelque temps. Et elle ne s'arrangeait pas. Ni l'une ni l'autre ne prenions sur nous pour améliorer les choses. Je ne sais même pas si nous en avons l'envie. C'était l'occasion de revenir à de grands questionnements, de voir la situation sous un autre angle.

Au bout de quelques minutes, la porte s'ouvre à nouveau, et j'entends les pas fermes de Gretta sur le parquet. Elle se plante à côté de moi, mains sur les hanches.

— C'est toi qui as fait ça ?

— Fait quoi ?

— Refuser une promotion pour me la donner ?

— Pourquoi me dis-tu ça ?

— Je viens de me voir offrir une super promotion, en tant que secrétaire personnelle du Führer. Alors qu'il aurait dû te la demander à toi.

Elle a dans son regard une lueur de honte mélangée à de la colère. Pendant un instant, je me demande si Adolf lui a tout dit... Je reviens vite sur ma réflexion. Gretta me regarde toujours, cherchant une réponse.

— Il ne m'a rien demandé, si c'est ce que tu veux savoir. Auquel cas, je ne l'aurais de toute façon pas mérité, et donc pas accepté.

Elle pose des yeux surpris sur moi. Sûrement qu'elle s'attendait à ce que je réponde positivement à sa demande. Ce que j'aurais pu faire, peut être même du faire. Mais je n'avais pas envie d'empirer mon cas. J'attendais vraiment que la situation s'améliore entre nous, elle était quelqu'un de si important pour moi. Après quelques minutes d'étonnement, Gretta reprend alors ses esprits et s'avance vers son bureau. Elle commence à empiler ses affaires et à les déplacer tranquillement jusqu'au plan de travail qui l'attendait, à la sortie du bureau d'Adolf. Elle s'installe avec fierté dans son nouvel espace, comme une gagnante. Et je la regarde faire, me disant qu'elle retrouvait enfin tout ce qui la faisait vibrer, tout ce qu'elle pensait que je lui avais volé. Intérieurement, j'étais heureuse pour elle. En quelques minutes, elle avait retrouvé sa joie de vivre. Je retourne à mes papiers, un tas assez impressionnant m'attend. Et maintenant que Gretta est promue, le tas ne cessera d'augmenter.

Dehors, l'orage vient d'arriver. La pluie frappe violemment les fenêtres, guidée par d'impressionnantes rafales de vent. Le tonnerre gronde, encore lointain, et quelques éclairs percent le sombre ciel. Après quelques heures, le chaos est sur Berlin. Si bien que le courant cesse, et que les bureaux se retrouvent dans le noir. Adolf était parti quelques heures plutôt, pour rejoindre ses quartiers, et Gretta l'avait suivi pour mettre quelques points au clair. J'étais seule, à l'administration du Reichstag. Le noir pèse dans la vieille bâtisse, plongée dans le silence. Les éclairs tentent, sans succès, de rétablir la lumière pour quelques secondes. Secondes qui passent vite aux minutes, vu le faible espace-temps qui sépare les éclats de la foudre. Un bruit de pas me fait sursauter, et je perçois dans un instant de lumière le visage de Wilhelm. Il s'avance vers moi, à la lueur d'une bougie.

— Raphaëlle, ça va ?

— Euh, oui, oui merci.

— Le Führer vient de nous envoyer quelqu'un, il faut que nous quittions le Reichstag. De toute façon, il est impossible de travailler dans ces conditions. Je te raccompagne ?

— Où est Hanz ?

— Parti, avec le Führer. Il avait un rendez-vous.

Je réunis mes affaires. Dehors, le temps se gâte de plus en plus. Wil me pousse dehors. Tous les hommes présents dans le bâtiment se poussent vers les sorties. J'ignore si c'est par crainte ou par simple joie de quitter le travail plus tôt. Une chose est sûre, il n'y aura rien de plus à faire chez soi qu'ici. Wilhelm me dirige vers une voiture, et nous voilà partis au travers des rues, désertes et trempées. Enfin, la Postdamer Platz se dessine, ainsi que le Palast Hotel. Je me précipite dans l'entrée, salut le réceptionniste et monte les marches quatre à quatre. Quand enfin la porte de l'appartement apparaît, je sens comme un étrange soulagement, souligné par le grondement sourd d'un coup de tonnerre. En entendant la porte s'ouvrir, Astrid accourt, presque rassurée.

— Comment ça se passe au Reichstag ? Et Gretta ?

— Nous n'avons plus de courant, comme ici je vois.

— Comme partout ! Tout Berlin est coupé du monde !

— Tout le monde a dû quitter les lieux. C'était impossible de faire quoi que ce soit, de toute façon.

— Et ma fille ?

— Elle est sûrement bien en sécurité. Elle est partie avec le Führer depuis quelque temps déjà, avant l'orage.

— Dieu soit loué !

Elle repart vers la cuisine, sans plus de questions. Je me débarrasse de mon manteau, trempé, et de mes chaussures. Je suis mouillée de partout, je ne sais même pas où mettre les pieds. Astrid revient, un peu plus tard, une grosse serviette éponge à la main.

— Tiens, ma chérie, essuie-toi un peu. Tu iras prendre un bon bain chaud, il coule déjà.

— Mme Friedrisch, je...

— Oui ?

— Je voulais vous dire que je compte partir.

— Partir, mais partir où ?

Dans son regard, on sent presque de l'inquiétude.

— Je pense que vous m'avez suffisamment hébergé comme ça. Et tant que je serais ici, Gretta ne reviendra pas vous voir. Je ne veux pas être une barrière entre vous.

Elle prend un air désolé, comprenant sûrement mon propos. J'étais en obstacle entre elle et sa fille, qui ne prenait plus la peine de les voir depuis notre dispute. Il était grand temps que je prenne sur moi, pour partir. J'avais bien suffisamment profité de leur hospitalité.

— Mais tu n'as pas de quoi te payer un logement, Raphaëlle.

— J'économise depuis longtemps déjà, Mme Friedrisch. Je n'allais pas vivre sous votre toit pendant des années. Et puis, la situation avec Gretta n'arrange rien, il est grand temps que je m'en aille.

— Tu sais que si tu as besoin de quoi que ce soit, tu peux compter sur nous. Et reste ici aussi longtemps que tu le souhaites, ou que tu en as besoin.

— Merci, vraiment.

Elle prend mes mains et me sourit, m'essuyant les cheveux comme à une enfant. Je suis son conseil et file prendre un bain bien chaud, et bien mérité. Je n'avais peut-être pas eu de promotion, mais Adolf avait tout de même décidé de m'augmenter. Avec les économies que j'avais faites, depuis le début, j'avais le nécessaire pour trouver un appartement sympathique et l'aménager. J'ai organisé des visites pour demain, mon jour de congé. J'espère trouver l'endroit qu'il me faut assez rapidement, pour ne plus dépendre de personne.




A l'ombre de ses plumesOù les histoires vivent. Découvrez maintenant