(I) Chapitre 2

678 70 3
                                    

Le bruit du wagon, passant de rail en rail, me berce doucement.

Les cheveux d'Hinami sont répandus sur mon épaule, qu'elle utilise comme oreiller.

Il reste une demi-heure avant notre arrêt, nous serons juste pour le repas du soir.

Quelque chose de chaud se met à vibrer contre ma poitrine, j'attrape la cordelette que je porte autour du cou et sort le pendentif de mon habit. Dans la petite cage de métal, ma perle de dragon s'agite et s'illumine.

Hinami, dérangée par mes mouvements, ouvre un œil puis se redresse totalement en voyant ce qui me préoccupe.

–        Shiro se réveille ?

Je hoche simplement la tête. La petite fumée grise que je suis la seule à percevoir s'échappe de la pierre. La brume sinueuse s'allonge et serpente sous mes yeux, avant de se condenser en une silhouette familière. La première fois qu'il s'est manifesté, il faisait la taille de mon petit doigt. Il a grandi, apparition après apparition. Maintenant, l'être éthéré confortablement assis sur mes genoux fait à peine une tête de moins que moi.

–        Où est-il ?

–        Juste là.

Hinami avance sa main et traverse le corps de poussière. L'esprit sursaute et se lève aussitôt. Il n'aime pas qu'on lui passe au dedans. Il s'éloigne de nous, va se trouver un autre siège libre puis tourne son visage dénué du moindre trait vers le paysage qui défile. Parfois, une vague de tristesse le submerge, ce n'est pas toujours facile de vivre derrière un voile d'invisible.

–        Tu l'as vexé, tu sais bien qu'il déteste ça.

–        Ça fait des picotements, c'est mon seul moyen de le sentir. Je m'assure qu'il est bien là.

Hinami avait admis l'existence de mon ami transparent, cela remonte à il y a quelques temps. Nous n'étions pas encore très proches, j'étais nouvelle venue, obéissante, très investie dans ce que je faisais et appréciée pour mon côté mature et responsable. Hinami était la bête noire de l'orphelinat, pas méchante, mais maladroite, paresseuse, têtue. Nous avions le même âge et très vite les surveillants nous ont comparées, lui répétant sans cesse qu'elle devrait prendre exemple sur moi. J'étais la fille modèle dont l'image bien lisse lui pourrissait la vie. Elle était amère et curieuse de savoir si je n'avais aucune faiblesse. C'était devenu son passe-temps favori, de m'épier pour découvrir une faille dans mon comportement. Elle voulait passer la main dans cette faille et montrer aux adultes que moi non plus je n'étais pas parfaite.

Je ne m'étais pas rendue compte de ses manigances, jusqu'à ce qu'elle ne perce mon secret. Le soir, je profitais de mes isolements passagers pour discuter avec ce drôle de petit esprit blanc qui sortait de ma perle de temps à autres. Il ne me répondait jamais que par des gestes, ne pouvait pas me toucher, mais sa présence me suffisait.

Il avait été présent, au cours de ces trois années que j'avais passé avec mes parents dans notre nouvelle maison. Il n'y a plus de maison, plus de parents, mais lui est toujours là, m'aide à me souvenir.

Au début, à l'heure des repas, l'esprit blanc était assis sur la table, à côté de mes baguettes, il faisait le tour de mon bol de riz quand je le reposais. Puis il a grossi, et se contentait de s'asseoir à côté de moi, le dos bien droit. Mes parents ne le voyaient pas, pas plus que mes camarades à l'école. Il caracolait dans le jardin, affectionnait les plantes. Il grimpait le long des rosiers, puis dans les arbres... Sa lumière me suivait partout, il imitait mes gestes, me piquait des livres... Sa curiosité pour le monde n'avait pas de limites, pas plus que la mienne à son égard.

Chihiro no TabiOù les histoires vivent. Découvrez maintenant