Exquisite douleur;
premier.
Sid était une fille moyenne, à tous les niveaux. Un mètre soixante-dix tout rond, quarante-neuf kilogrammes, pointure trente-sept. Des cheveux blonds en bataille, comme toutes ces minettes des années 90. Un rouge à lèvres estompé afin de mettre sa fine bouche en valeur, et un point noir sur la joue gauche. Oui. Sid était moyenne. De ces filles qu'on trouve "jolie", mais jamais "belle". De celles dont on ne trouve rien, pas même un petit quelque chose qui puisse ouvertement faire la différence. Sid n'était qu'une nana paumée, mêlée à la foule comme si de rien n'était. Ni perdue, ni étouffée, juste adaptée. Et comme toutes ces filles moyennes, Sid avait le coeur brisé. Par un type, devenu un connard une fois les mots "je te quitte" prononcés. Un connard dont les chemises avaient disparu du placard commun. Un connard qui avait récupéré sa brosse à dents, ses films, embarquant en prime les morceaux éclatés du premier amour d'une blonde qui se retenait de pleurer. Et du haut de ses vingt ans, Sid avait décidé, après moult discussions avec ses ami-e-s, d'entourer son coeur rafistolé avec du cellophane, pour ne plus jamais avoir à dévaliser le rayon bricolage du super-marché des jeunes largué-e-s. Elle s'était armée de patience, de sarcasme et d'agacement, ainsi que de café. L'arme des personnes constamment sur les nerfs, ayant enfin trouver une bonne raison de s'énerver. Plus de thé, de chocolat, de tisane, de jus de fruits. Juste une bonne tasse d'amertume au petit déjeuner, pour bien commencer la journée. Sid avait le coeur brisé par un premier amour, par un premier essai, par un brouillon trop vite saccagé, par une douleur un peu trop exquise, par un battement de coeur aux yeux marrons et cheveux bruns. Et le problème, c'est qu'elle avait du mal à le réaliser, jusqu'à ce qu'elle aperçoive un jour, sur le miroir de la salle de bain, les résidus d'un message écrit il y a quelques mois, et qu'elle ne puisse compter jusqu'à trois avant d'y jeter son poing.
❣
Iwan, surnommé le Lézard depuis le primaire. Il n'avait pourtant rien en commun avec le reptile, à part peut-être ses yeux verts sans une goutte de jaune ou de marron. Il était frêle, loin d'être immensément grand, malgré les chaussures à talons compensés qu'il s'était mis à fièrement porter dès ses treize ans. Lui n'était pas tellement commun. Ses traits juvéniles et ses boucles noires contrastaient avec les tatouage sur sa tempe ainsi que sur ses phalanges. Iwan essayait tant bien que mal de casser cette apparence lisse et nette qui collait à sa peau diaphane, espérant qu'on ne se moque plus de ses fossettes de gamin, de son squelette de porcelaine, ou encore de ses petites mains. Iwan souhaitait qu'on le lâche un minimum, qu'on admire ses dessins et non les tâches de dépigmentation qui s'éparpillaient le long de son cou. Mais pourtant, malgré cette pointe d'agacement, Iwan était un bon vivant. Il avait deux-trois ami-e-s, des acolytes ; tatoueurs, perceurs, obligés de bosser à temps partiel dans un café au coeur de Londres pour éviter la faillite. Des ami-e-s qui lui avaient présenté Dana. Parce qu'Iwan aussi avait été un brouillon, autrefois. Le premier de quelqu'un, le coup d'essai. Celui qu'on prend, qu'on admire le temps d'une soirée, peut-être même d'une année, avec un peu de chance, mais qu'on finit par jeter à la poubelle une fois le temps dépassé. Il avait fait son boulot, et sa date de péremption n'avait pas échappé à cette connasse aux cheveux rouge. Premier amour, première déception, et un cynisme grandissant envers ces saletés de sentiments. Sauf qu'Iwan n'avait plus le coeur brisé et ne buvait pas de café. Iwan préférait les milkshakes, pendant qu'il dessinait. Iwan pouvait croiser Dana dans la rue, de temps à autre, sans baisser les yeux ni l'esquiver ; non, ça, il n'y avait qu'elle qui le faisait.