Vivid dream;
troisième.
Des tâches de café étaient éparpillées sur le dessin que ce jeune mec lui avait laissé. Parce que Grace n'avait pas pu s'empêcher de se moquer d'elle, de ses vêtements débraillés, au milieu d'une oeuvre si bien travaillée, et qu'en rigolant trop fort, sa cuillère était tombée. Sur cette feuille blanche qui avait réchauffé son petit coeur tout protégé. Et ça l'avait profondément emmerdé, que Grace, avec ses grandes lèvres rouge carmin et ses cheveux frisés l'abîment, après avoir basculé sa tête en arrière pour regarder le 'p'tit cul d'l'artiste'. C'était le problème, avec Grace. Elle était bruyante — ce qui lui valait régulièrement des remarques sur sa couleur de peau et sur ses "gênes de sale gueularde noire ."
Alors Sid, à fleur de peau, cherchant la moindre excuse valable pour exploser, s'était levée, avant de faire tomber le verre d'eau qui trônait devant elle depuis qu'elles s'étaient posées, puis était partie en balançant à son amie, d'un ton acerbe : "j'aurai du te laisser Robert ; aussi con l'un que l'autre."
Et puis elle avait fini par l'oublier. Rapidement. Comme un gosse se lasse d'un jouet, elle était passée à autre chose le jour suivant. Sid avait posé le dessin sur la table, en rentrant, et puis, ses incessants va-et-vient ainsi que les courants d'air des fenêtres grandes ouvertes l'avaient fait dégringoler de la table au plancher, puis du plancher à sous un meuble. Sid avait oublié le portrait qu'avait fait un mec bien, ne se lassant pas de cracher son venin sur son ex, toujours aussi emmerdant malgré les kilomètres les séparant.
Jusqu'à ce qu'un matin, son chat, Ankou, ne se mette à grignoter les rebords d'une feuille poussiéreuse dont les couleurs commençaient à s'estomper. Tout le dessin s'effaçait, comme si le temps était une gomme bon marché. Tout, sauf elle. Sauf ses grands yeux vairons, et son pyjama. Sauf ses boucles qui se battaient entre elles, au milieu de fleur de lys. Et un sourire naquit sur son visage fatiguée, parce que pour une fois, elle pouvait se voir au travers des yeux d'un autre, et son reflet ne lui déplaisait pas tant que ça. Sid s'empara de deux magnets — l'une en forme de renard, et l'autre en forme de colibri — puis le plaça sur son frigo. L'amertume de son premier amour était toujours présent, mais un petit dessin lui servait désormais de cache misère, pour oublier que le cellophane entourant son coeur se détachait, et que les pièces retombaient petit à petit à ses pieds.
❣
Iwan était rentré précipitamment chez lui, son crayon de papier toujours entre les dents, tout tremblant. Peinant à rentrer les clés de son appartement dans la serrure, il avait pourtant fini par basculer à l'intérieur, la boîte de son violon se cognant contre le meuble de l'entrée alors qu'il laissait ses partitions s'éparpiller sur le parquet. Il se dirigea rapidement jusque dans sa chambre, s'empara d'une boîte qui reposait sous son lit, et se saisit de sa machine à tatouer. Et, de mémoire, il s'ancra un visage angélique entouré de lys sur le poignet droit. Iwan était un passionné. De ces petits bouts d'homme qui ne parle pas beaucoup, mais qui produise à la chaîne. Pas comme dans toutes ses usines, ni par obligation. Simplement parce qu'il était né avec cette chose nommée inspiration. Iwan était une oeuvre d'art. Il n'était pas un grand tatoué, ni un mannequin de magazines, mais ses yeux verts, ses boucles noires et ses traits fins étaient si purs qu'il semblait inhumain, parfois. Comme toutes ces belles personnes d'apparence innocentes, dépeinte dans des centaines de tableaux. Iwan était comme ça. Simple. Taciturne. Avec un côté sombre et sauvage, comme chacun, mais aussi doté d'une patience infinie et d'un calme olympien. Il avait choisi de nourrir cet aspect de sa personnalité. Contrairement à cette légende indienne qu'il s'était remémoré durant toute son adolescence, les deux loups ne se battaient plus en lui, et il n'en avait jamais nourrit aucun. Iwan avait tout bonnement accepté le fait qu'une personne est faite de dualité, et qu'il n'y avait qu'une créature dans son estomac. Qu'elle était parfois bonne et généreuse, et d'autre fois, froide et cassante. Que ce n'était en réalité pas une créature, mais simplement ses émotions, et que même les plus néfastes se doivent d'être manifestées, de temps à autre.
- T'es parti rapidos, Obiwan. Pour une fois que tu fais pas la fermeture et qu'ça m'aurait aidé, la voix de Thora résonna dans tout l'appartement. De sa chambre, Iwan la vit jeter sa veste sur le canapé, puis trottiner jusqu'à la cuisine pour se préparer un thé, comme à son habitude. T'aurais du lui parler.
- Mmh?
Le rire de Thora était tout doux, contrastant avec ses manches et le tatouage qui ornait son cou. Elle était sacrément belle, Thora. Il l'appelait la Princesse Maudite depuis qu'ils s'étaient rencontrés ; parce que ses longs cheveux noirs ébènes, son teint blafard, ses joues creuses ainsi que ses yeux tatoués l'a rendait unique, et que ça lui allait bien, comme surnom. Elle était gentille, délicate, malgré son incapacité à rester sérieuse et ses moqueries permanentes. Et puis, son apparence l'a rendait tellement unique. C'était sa Princesse Maudite. Sa petite Thora.
- La petite blonde à qui tu as laissé un dessin. T'aurais du lui parler.
- Ah, Iwan se tut un instant, peut-être même un peu trop longtemps. Elle avait l'air occupée.
Il vit un sourire creuser les joues de son amie, rapidement dissimulée par un gros mug — celui qu'il lui avait offert pour son anniversaire, avec le chat d'Alice au pays des merveilles.
- Elle était vachement plus jolie que Dana, elle continua, après avoir avalé son thé de travers.
Iwan soupira, de lassitude, probablement. Agacé d'entendre ce prénom, alors qu'il avait déjà oublié le visage qui allait avec, et qu'il en avait marre de penser à son petit coeur en mal à fonctionner à cause d'une imbécile dont le prénom lui faisait penser à une marque de yaourt. Il se laissa glisser en arrière, face à Thora et à son petit sourire en coin. Il se laissa aller alors qu'elle venait de remarquer le cellophane autour du poignet de son ami, et qu'elle savait très bien pourquoi. Alors, elle s'éloigna.