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Waiting room;

deuxième.


Des gouttes de sang dégringolaient le long de son poignet, malgré le torchon soigneusement enroulé autour de sa main. Rien de grave, tout était superflu, mais le liquide tiède colorant ses doigts lui rappelait la sucette en forme de coeur qu'elle avait acheté, après son départ. Celle qu'elle avait éclaté en mille morceaux à coups de pied, avant de fondre en larmes, accroupie entre les parcelles sucrées et pourtant bien moins brisées que ce satané pompeur de sang au boum-crac incessant. Mais cette fois, ses yeux ne s'exprimaient pas. Tout allait étrangement bien, comme si il avait suffit de s'écorcher la main pour qu'elle passe définitivement, et complètement, et indéniablement, à, autre, chose. Sid s'empara alors d'une paire de ciseaux, de compresses et d'un petit rouleau de bandage, désinfectant son mal être en même temps que sa plaie. Y en avait marre de Robert et de ses cheveux bruns, de son putain de parfum. Avec fluidité, Sid s'occupa de sa main, ramassa les bouts de verre, s'attacha maladroitement les cheveux, puis, toujours en pyjama, décida de sortir, claquant la porte de son appartement comme si ce connard était juste derrière elle. Mange toi ça, Robert.

Sid dégringola les escaliers, une vieille paire de vans aux pieds, vaguement dissimulée par un pantalon à carreaux jaune et bleu. Là, elle avait besoin d'un café. Sans sucre, sans lait, juste une bonne dose d'amertume pour rassasier son intérieur, s'accommoder avec sa mine blafarde, et faire disparaître ses satanées cernes qui avaient trouvé refuge sous ses grands yeux depuis des semaines. Seul le bruit de ses pas résonnaient dans le hall de l'immeuble, alimentant sa mauvaise humeur tandis que les portes en bois claquaient bruyamment derrière elle. Y en a marre de cette putain d'solitude. Oui, Sid était mauvaise, parfois. Sous sa tignasse blonde et sa peau toute pâle se dissimulait une imbécile rancunière, incapable de gérer sa colère une fois celle-ci crachée.

D'une démarche rapide mais maladroite, Sid dévala la rue, passant devant une bonne dizaine de personnes qu'elle avait l'habitude de fréquenter avec Robert, avant. Des étudiants en droits, en psycho. Des p'tites nanas bien sapées entourées par des mecs à l'égo surdimensionné.

- Hey, Sidney!

Elle retint un flot d'insultes, glissa une mèche rebelle derrière son oreille puis continua, c'est juste Sid, abrutis. Et ils ne rajoutèrent rien.



La boîte de son violon reposait à ses côtés, sur une chaise, tandis qu'une dizaine de partitions s'étalaient sur la petite table qu'il s'était attribué, lorsque ses ami-e-s avaient commencé à travailler ici -un petit café planqué près d'une ruelle. Iwan était un brin musicien, de ces autodidactes que personne ne connaît mais qui le mériterait. Et son truc, c'était d'illustré les morceaux qu'il apprenait à jouer. Au dos de chaque, il dessinait ce qu'il avait imaginé, la première fois qu'il les avait entendus, que ses doigts avaient glissé sur les cordes de l'instrument. La vérité, c'est qu'Iwan avait découvert sa passion pour le dessin grâce à la musique. Chaque morceau l'inspirait, au point qu'à chaque coup de coeur, le brun s'emparait d'une feuille blanche, dessinait à toute allure, et courait jusqu'à son appartement. Il s'emparait ensuite de sa machine à tatouer, et s'ancrait un élément sur le bras. Un détail du brouillon qu'il avait délaissé sur la table du café, comme une petite feuille volontairement abîmée, en mouvement, sur son poignet. Ou une horloge en forme de harpe, près du coude. Ses petits bouts de musique à l'ancre de chine n'étaient qu'à lui. Il était une partition imagée, et ça lui plaisait. Tellement. Tellement qu'il économisait depuis deux ans pour ouvrir son petit salon afin de permettre à d'autres passionnées de se tatouer leurs propres versions de leurs musiques préférées.

- J'ai de quoi payer cette fois, attend.... une voix douce s'élevait à peine, près du comptoir. Et merde, j'ai tout laissé dans mon pantalon noir.

- Si t'arrêtais de sortir en pyjama ça arriverait moins souvent.

- C'est plus qu'un pyjama, Iwan ne bougeait pas, se concentrant sur les reflets de Von Rothbart qu'il dessinait, en écoutant l'acte II du Lac des Cygnes. C'est confort, c'est doux, c'est une seconde peau. Si je l'enlève je me sens nue, Grace. C'est un bout de moi qui disparaît dans la machine à laver.

Et puis, Iwan leva les yeux lorsque cette petite voix, au ton soudainement théâtral, se fit entendre un peu plus fort, jusqu'au fond de la salle où il se trouvait. Et aussitôt, il se mit à la dessiner, cette blonde dépareillée. Sans ailes ni teint blanchâtre, juste elle, ses boucles blondes tel un bordel organisé, son sweet orange carotte, ses vans toutes bousillées, ainsi que ce petit point noir sur sa joue gauche. Elle se tenait au milieu de fleurs blanches, sur son brouillon, et c'était si joli, si simple, si elle, qu'il se leva rapidement, déposa son dessin sur la table à laquelle venait de s'installer Sid et son ami, puis sortit du café, la tête baissée. Il était tout timide, Iwan.



*Odette est le cygne blanc du Lac des cygnes ;

Von Rothbart est le sorcier qui lui a jeté un sort.*



chain reaction.Où les histoires vivent. Découvrez maintenant