Comme chaque matin, d'une main ferme, elle empoignait sa brosse à cheveux. Avec le temps, elle avait appris à faire abstraction de son reflet, ou plus exactement de la partie du reflet qui posait problème. Elle avait l'impression de coiffer un mannequin en plastique sur lequel on aurait posé une perruque.
Ses longs cheveux châtains tombaient en masses informes de part et d'autres de son visage absent. Une frange venait lui couvrir le regard. Sa coiffure n'était pour elle qu'un camouflage. Cette ruse capillaire fût longtemps pour elle une échappatoire : ne pas donner à voir ce qu'elle ne pouvait voir elle-même.
Quand elle sortait, cela était rare et toujours lié à une nécessité, elle laissait sa longue chevelure la recouvrir. Elle lui permettait de disparaitre.
À chacune de ses sorties, la première épreuve qu'elle devait relever était celle de l'ascenseur, à cause du grand miroir qui se trouvait au fond. Durant six longs étages, elle évitait de contempler le trou béant de son visage. Mais la véritable épreuve était ailleurs.
Sa pire crainte était de se retrouver dans l'ascenseur avec d'autres personnes.
Pendant très longtemps, elle ne pût comprendre ni admettre ce qui se produisait quand elle se retrouvait devant un miroir en présence de quelqu'un.
Ce nouveau phénomène apparût quelques années après la disparition de son visage, comme un nouveau symptôme aggravé de son étrange maladie. Il se déclara quelques temps après être partie de chez ses parents pour l'université et il était lié à ses premiers émois amoureux.
Elle repensait parfois à cette jeune fille qu'elle n'avait plus revue depuis qu'elle l'avait abandonnée en fuyant ce garçon.
Lui arrivait-il encore de penser à elle ?
Quelle importance...
***
« Je ne l'avais pas remarqué. Mais je ne remarquais personne à cette époque. J'étais trop occupé à vouloir disparaître. Il m'expliqua par la suite qu'il m'avait rencontré le jour de la rentrée. Que nous aurions échangé quelques mots sur nos cours en commun, sur les profs. »
« Je ne m'en souviens pas. »
« Lui, a été marqué à vie par cette rencontre. Il tomba dans l'instant éperdument amoureux de moi. Ce sont ses propres termes. »
« Durant cinq mois, il chercha à multiplier nos rencontres. Il organisa ses cours en fonction des miens. Se renseigna sur moi. Il n'obtenu que peu d'information en dehors de mon nom. D'une timidité maladive, il ne put se déclarer simplement. Je l'impressionnais. J'étais pour lui la femme parfaite, la femme idéale. Quel drôle d'idée ! »
« Selon lui, "on ne jouait pas dans la même catégorie". Il se trouvait plutôt petit, sans muscle, quelconque, sans intérêt, ennuyeux et pas vraiment drôle. Je dois reconnaître aujourd'hui avec le recul, qu'il était plutôt lucide sur sa situation. »
« Mais pour son plus grand bonheur, un évènement inattendu projeta ce jeune homme au centre de mon monde. Il en devint l'intérêt principal, la réponse à tous mes maux, ma voie de guérison. Celui par qui je pensais retrouver joie de vivre et sociabilité.
« Cet épisode de ma vie ne fût qu'un éclat de soleil fugace bien vite absorbé par les nuages sombres de ma vie. »
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La Femme Sans Visage
ParanormalDebout dans sa salle de bain, face au miroir, elle ne voyait qu'un visage flou. Immobile et en pleine lumière, ses traits lui échappaient encore. Ses yeux n'étaient que deux lueurs blanches et brumeuses au milieu d'une figure rose pâle sans contour...