Chapitre 9

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    Sidi Bouchaïb termina de remplir l'abreuvoir des chevaux et se dirigea vers l'étable de sa démarche claudiquante. Au passage, il saisit deux énormes sacs de graines animales qu'il posa sans la moindre difficulté sur chacune de ses larges épaules.
Après avoir ouvert la porte de l'étable à l'aide de son pied droit, il entreprit de verser un peu du contenu de chaque sac dans les larges seaux servant à nourrir les bêtes.
Chacun de ses gestes était effectué avec une douceur et une précision sans commune mesure avec sa carrure de colosse. Les seaux étaient tous remplis de la même quantité, au grain près, versé avec délicatesse. A le voir procéder, on sentait que Sidi Bouchaïb aimait son travail.
Tout en effectuant sa besogne, il parlait aux animaux, dont il connaissait chacun dans les moindres détails, les appelant par les noms qu'il leur avait donné à leur naissance.
- M'Saouda ! Alors ma grande, comment ça va ? Tu t'aimes bien les grains yek ? Allez viens manger le bon grain ! Abdnbalek, petit feignant, allez, un peu de mouvement mon gros, dis tu vas devenir obèse et on pourra plus te manger hein ! Attention ! Joséphine, ma toute belle, qui c'est qui va faire un bon méchoui ? Qui c'est ? Ouoiouioui c'est toi mais oui mais oui !
Les moutons, heureux de se faire engraisser à l'œil sans savoir quel était leur destin, adoraient Sidi Bouchaïb dont ils avaient rapidement compris que leur vie dépendait.
Ils accouraient joyeusement à ses appels, leurs braiements de satisfaction résonnant sur les murs à la chaux de la petite étable, avant de se goinfrer dans un bruit épouvantable sous l'œil gourmand de Sidi.
La conscience du travail bien fait, Sidi Bouchaïb ne put s'empêcher de repasser par l'écurie, où ses vrais trésors se reposaient.
24 chevaux plus magnifiques les uns que les autres. Sa fierté, l'accomplissement d'une vie. Avant cet accident qui lui avait coûté la jambe gauche, Sidi avait été l'un des plus grands cavaliers du royaume, remportant 12 fois consécutives le Bouchtakem, du jamais vu.
Depuis, il se consacrait à l'élevage et au dressage au sein de sa propre écurie, structure familiale qu'il avait créé avec l'aide de ses frères Mounsef et Jean Alain.
La large propriété était située à Moulay Yacoub, dans les environs de Fès. Sidi Bouchaïb était une célébrité nationale et les villageois étaient fiers de le compter parmi l'un des leurs. Généreux, il partageait régulièrement ses moutons avec les moins fortunés des Yacoubiens et sa porte était toujours ouverte pour les sans abris en quête de refuge durant l'hiver, vu qu'il passait une bonne partie du temps à skier dans les ardennes belges.
Sa dernière inspection effectuée, il sortit un paquet de cigarettes de la poche de sa djellaba et en alluma une, écoutant avec délice le grésillement que produisait la première bouffée qu'il tirait dans le calme de la nuit.
Il leva la tête vers les étoiles. Le Père Noël ne devrait plus tarder désormais.


Conte de l'AventOù les histoires vivent. Découvrez maintenant