Chapitre 11

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Tout était prêt pour l'arrivée du Père Noël, le foin bio soigneusement disposé dans les larges réceptacles, les tonneaux de redbull prêts à être vidés dans les abreuvoirs, et un bon tagine aux artichauts chauffant dans le four.
Un sourire se peignit sur le visage de Sidi alors qu'il se remémorait sa première rencontre avec le Père.

A l'époque, Sidi Bouchaïb était encore « El tigre » Bouchaïb, le tigre de l'Atlas, le héros national aux 11 capes de Bouchkem. Tout juste auréolé de sa dernière victoire, il sentait que le temps de la reconversion approchait, comme il l'avait confié à la conférence de presse après sa victoire :
- Bon bah comment dire, je pense que j'ai fait un bon match, voilà, j'ai joué un bon bachkem, je dois rendre hommage à mes concurrents qui se sont bien défendus, mais voilà il fait un gagnant et aujourd'hui c'était moi. Maintenant voilà, je commence à penser à autre chose, peut être du dressage, on va voir ce qui se présente quoi, voilà.
A ce moment, cette histoire de dressage était sortie un peu par hasard car il trouvait que ça sonnait bien, mais l'idée avait germé et trois mois plus tard il avait acheté une propriété dans son village natal de Moulay Yacoub.
Un 25 décembre, alors que la famille était réunie autour d'une bonne harira, un vacarme s'était fait entendre dans la cour de la propriété.
Sidi Bouchaïb avait ouvert la porte pour découvrir un grand type d'un certain âge, d'une carrure proche de la sienne où la graisse avait remplacé les muscles, essouflé, les cheveux en pagaille, visiblement au milieu d'une catastrophe sans nom.
- Hhhh, hhh, bonsoir, je suis le Père Noël, j'ai un problème avec mes rennes, ils ne peuvent hhh plus avancer hhhhhh, je ne vais pas pouvoir distribuer mes cadeaux hhhhh, les enfants du monde entier ne hhh recevront rien et, hhhh, hhh ma boîte va hhhh couler, je suis foutu foutu foutuuuuu !!!!
- D'accord, d'accord, avait répondu Sidi Bouchaïb de son calme habituel, reprenons les choses par le début : ton attelage il est en rade yek ? Où c'est que tu l'as laissé ?
A cette époque, le Père Noël n'était pas encore au point concernant le ravitaillement des rennes, ceux ci étant donc sur le point de tomber en hypoglycémie alors qu'il restait plus de la moitié du chemin à parcourir .
Le calme de Bouchaïb l'avait rassuré : il se sentait entre de bonnes mains. Il reprit son souffle.
- Oui, je les ai laissé dans un champ pas loin, on m'a dit que vous pourriez m'aider.
- Bon, je vois, on va vous donner un coup de main.
Il disparut dans la maison et revint flanqué de deux types à la carrure au moins aussi impressionnante que la sienne.
Il fit les présentations rapidement.
- Jean Alain, Mounsef, le Père Noël. Père Noël, mes frère Jean Alain et Mounsef.
- Salut
- Salam
- Salam
- Le Père Noël à un problème d'attelage, on va l'aider à le ramener jusqu'ici et redonner un peu d'énergie à ses rennes .
Les quatre hommes avaient porté les rennes fatigués jusqu'à la propriété de Sidi Bouchaïb qui les avaient ensuite installé dans la grange devant une confortable réserve de foin et de la bonne eau bien fraîche.
Pendant que les rennes se rassasiaient, il avait convié le Père à partager leur repas.
- Tu connais la harira ? C'est un genre de soupe, c'est très bon la vérité !
- Ah je connaissais pas, par chez moi on mange pas mal de soupe au choux... mais je ne veux pas déranger hein...
- T'inquiète pas le Père Noël, était intervenue Amina, juste tu t'assois et tu te laisses faire.
Ils avaient fini par se vider quelques bouteilles de Boulaouane et par chanter les derniers tubes d'Aznavour.
Au moment du départ, le Père Noël avait prit Sidi Bouchaïb par les épaules et déclaré :
- Sidi, après ce qui s'est passé ce soir, je te considère comme un frère. Je transmettrai la recette de la harira à la Mère. Ecoute, si ça te dit, je t'inclus dans le plan de tournée : je paye toute la nourriture pour les rennes et je t'accorde un pourcentage sur les bénéfices. Et chaque année, je fais une pause chez toi avant d'attaquer l'Europe.
- Mais ça pas t'y es fou !! avait protesté Sidi Bouchaïb, moi jamais je te fais payer JAMAIS ! Tu viens ici ta femme elle vient ici tes enfants ils viennent ici tes rennes ils viennent ici c'est la famille ! Tu payes ouèlouh !
Après de longues embrassades, ils s'étaient quittés pour dès lors se retrouver chaque année, avec le même enthousiasme débordant de part et d'autre.

Les années avaient passé et Sidi Bouchaïb avait vu disparaître une à une les personnes qui lui étaient chères. Jean Alain, ayant découvert sur le tard qu'il avait été adopté, était parti à la recherche des ses ancêtres dans le Languedoc, tandis que Mounsef avait péri d'une indigestion de Vache qui rit. Amina quant à elle mskina était morte d'une crise cardiaque en apprenant que le beau docteur Larbi trompait depuis des années sa femme avec Ahmed le jeune cireur de chaussures dans la série égyptienne qu'elle affectionnait tant, « Kebabs et Stéthoscopes ».
Bien que Sidi Bouchaïb continuât de s'occuper de l'écurie, il avait toutefois limité son champ d'action à l'entretien des chevaux, déléguant la plupart des responsabilités aux nombreux employés de la concession.
Si le poids des années avait diminué sa vivacité et rajouté quelques courbatures ici et là, il demeurait un colosse à la force surprenante et comptait encore quelques belles années devant lui.
Il termina sa cigarette qu'il écrasa sous sa babouche, regarda sa montre et constata que le Père avait un peu de retard- rien de sérieux, il allait boire un bon petit thé à la menthe en attendant. 


Conte de l'AventOù les histoires vivent. Découvrez maintenant