Chapitre 1

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   Il était là, devant elle, se tenant bien droit en haut de ces quelques marches qui les séparaient, élégant et sublime dans sa tunique sans manches, à la coupe exquise et d'un noir si profond et doux qu'il semblait apaiser quiconque y posait les yeux. Son regard bienveillant fixait attentivement la jeune femme en face de lui, tentant vainement de déceler une vérité si secrète, si sombre, si splendide qu'elle transformerait à jamais la face de leur monde tout entier, des terres glacées d'Ark'Dil aux contrées arides du royaume de Sanat.

Les deux êtres se fixaient sans dire un mot, sans ciller. Elle savait. Elle connaissait tout de lui, son passé, son présent, son futur et leur avenir à tous si elle n'agissait pas. Elle avait vu l'issue de la guerre qui se profilerait bientôt et devinait dans la posture confiante du souverain que lui n'en savait rien. Pourtant, elle ne dit mot, l'observant calmement dans sa robe de gaze bleu saphir. Elle était au courant de l'impression saisissante de sa peau plus blanche que la lune, de la sensation de malaise que donnaient ses yeux plus bleus que les grands Lac d'Isvald, de l'étrangéité de ses cheveux plus rayonnants que le soleil au solstice d'été.

Malgré tout cela, jamais elle ne vit le monarque baisser les yeux devant elle, lui donnant ainsi une bouffée de fierté inexplicable. Elle avait une mission cruciale à remplir et il en serait le terrible acteur. Il devrait être fort s'il voulait survivre à un destin qui le tuerait probablement... un destin qui pourrait les tuer tous. La jeune femme s'avança, montant lentement les marches de marbre sans jamais le quitter des yeux. Puis, d'une voix profonde et douce, elle murmura :

- Majesté Valren. Si je connais votre nom, vous ne saurez rien du mien, car il est bien trop dangereux prononcé par de trop sombres individus. Sachez simplement que je sais de vous tout ce que vous ignorez, et qu'en cela je vous suis indispensable. Je me présente à vous comme un cadeau et mets ma magie au service, non seulement de votre personne et de votre royaume mais aussi à tous les autres si j'en juge l'action nécessaire. Je me revendique et me proclame tutrice de votre fille, la princesse Seren, et en cela je vous serai aussi utile car il m'est parvenu qu'elle n'avait pas encore vu éclore ses pouvoirs. Peut-être un jour pourra-t'elle revendiquer le trône en tant que fille aînée et de sang de feu la reine Isil...?

Sur cette présentation peu conventionnelle et aux lourds sous-entendus, elle se détourna sans la moindre révérence, sans même un hochement de tête, posant simplement deux doigts sur sa poitrine en un signe manifeste de respect connu d'elle seule. Elle sorti de la salle somptueuse par la grand-porte délicatement sculptée avec une grâce surnaturelle. Il ne connaissait rien d'elle et était pourtant le seul à savoir qui elle était vraiment. Sans le vouloir, il avait mis sa vie et celle de son peuple entre les mains de cette femme, et non l'inverse comme l'avaient laissé entendre ses paroles.

De nouveau seul, le souverain se rassit sur son trône de verre, laissant pianoter ses doigts fins sur les accoudoirs marbrés de veines scintillantes. Il représentait la force, la sagesse et la puissance de son royaume. Il était un mage reconnu par les Déesses elles-mêmes et possédait une magie singulière en lien direct avec ces entités dont il ne connaissait que la bienveillance. De cette magie affluait un pouvoir presque divin : celui de la prière et des vœux. D'un simple souhait, d'une simple demande aux Divinités, il pouvait accomplir tout ce dont un homme rêvait. En contrepartie, il répondait à leurs appels et répandait à travers son royaume leurs paroles, leurs messages et leurs convictions, jusqu'au prix de sa vie si elles le lui demandaient. Il n'obéissait qu'à elles et le faisait avec ferveur, en toute connaissance de cause... ou du moins jusqu'à l'arrivée de cette femme. Cette femme si mystérieuse, aux traits humains, à la sagesse elfe et à la grâce de sirène. Au premier regard il avait ressenti en lui une émotion si forte, un désir si puissant qu'il avait retenu à grand-peine son envie de se prosterner devant elle, de mettre sa vie à son service. Il ne l'avait pas quittée des yeux, et jamais il n'avait flanché. Il avait l'impression, la conviction ultime de la connaître, de deviner sa nature véritable derrière ses yeux envoutants.




Les Enfants d'AgaerisOù les histoires vivent. Découvrez maintenant