Chapitre 2 - Le déjeuner

48 4 0
                                    

My Demons de Starset résonnait dans la voiture. Je savais que James pensait à ce que j'avais dit au cimetière, tout comme il savait que je pensais à ce qu'il avait dit au cimetière.

Il me cachait quelque chose, je le savais, et j'étais déterminée à découvrir quoi. Je tournai la tête vers lui, il me regardait et ses yeux pétillaient de joie.

- Tu ne voudrais pas me tuer en ne regardant pas la route ? se moqua-t-il.

- Je peux très bien le faire, blaguais-je.

- Je suis trop beau pour mourir ! s'offusqua-t-il.

- Ça va les chevilles ?

- Oui, merci de t'en soucier.

Je ricanai en regardant la route à nouveau. Sauver les apparences, encore et toujours, je sentais son regard sur moi, et je savais qu'il tentait de lire à travers mes mots, à travers mes mensonges. Il mentait, lui aussi.

- On arrive quand ? me demanda-t-il.

- Dans longtemps.

- J'attends une précision.

- As-tu des yeux et un cerveau ?

- Ben oui, pourquoi ?

- Tu sais t'en servir ?

- Oui, mais pourquoi ?

- Tu regardes le GPS c'est écrit dessus !

- Ah oui, lâcha-t-il. Dans une heure, c'est long, un heure.

Il fredonne la chanson qui passe en boucle, d'un air totalement faux.

- Mes pauvres oreilles, grimaçais-je.

- Je chante très bien mon amour, tu ne sais pas reconnaître le talent.

- Et ma gifle dans ta figure c'est du talent aussi ? sifflais-je.

Il se renfrogne.

Une heure plus tard, nous arrivons devant la propriété de mes parents, grand jardin, grande maison, belle voiture, je vis ma mère, Priscilla, arriver, un sourire aux lèvres.

- Bonjour ma chérie ! s'écria-t-elle dès que je sortis de la voiture.

- Salut maman, fis-je.

James sortit et la salua. Mon père, John, arriva, suivi par ma sœur, Lila.

- Venez, nous allons prendre l'apéro, dit-il.

Sensation de malaise, la nausée ne va pas tarder, je refoule ces sensations et sourit à ma sœur.

- Tu as une mine fatiguée, me dit-elle.

J'hausse les épaules, nous nous installons à table et mon père sert le champagne. On trinque et ma mère boit une gorgée.

- Alors, que faites-vous dans la vie ? nous demanda Lila.

- Je suis mécanicien, dit James.

- Et toi, chère sœur ?

- Illustratrice de livres et de bandes dessinées, mais tu le sais déjà.

Elle m'offre un sourire, son insupportable sourire tendre, derrière lequel se cache un sourire moqueur et glacial.

- J'ai repris le travail de papa, m'annonce-t-elle avec fierté.

- Dans quoi travaillait votre père ? lui demanda James.

- Directeur d'une banque, lui dit-elle.

Je regarde cette famille qui me dégoûte, elle est si heureuse, si fière, ils ne pensent pas à Peter, ils l'ont oublié, et cela me répugne, je bois mon verre d'une traite. 

Ma mère se lève et apporte son confit de canard, elle commence à discuter avec James sur la réussite professionnelle de ma chère sœur. Elle enchaîne ensuite sur la catastrophe de la kermesse de CP, tout le monde rit sauf moi, je ne vois pas du tout en quoi le fait de tomber et de déchirer sa robe devant des centaines de personnes est drôle. Le surplus de bonheur qui coule de cette scène me répugne. Le dessert arrive, un tiramisu aux fruits rouges, le simple fait de voir la pâtisserie me donne la nausée, ma mère ne sait pas les faire ! Elle met trop d'alcool et trop de crème, le tout est assez lourd à digérer.

- Tu ne manges pas, Rose ? lâcha Lila.

- Si, si, marmonnais-je.

Je me force à manger cette horreur culinaire. Mon père raconte des blagues, tout le monde rit, l'alcool délit les langues. Ils parlent de l'accident de Peter, je me lève et les toise, impassible.

- Je vais y aller, j'en ai marre, dis-je.

- Marre ? répéta ma sœur. Et de quoi ?

- De vous. Comment faites-vous pour oublier Peter ?

Ma sœur se lève et me gifle.

- C'est de ta faute s'il est mort ! hurla-t-elle hystérique. Tu l'as laissé seul dans la cuisine ! On te l'avait confié !

- Ma faute ? répétais-je mielleuse. Non. J'avais 10 ans et vous m'avez laissée avec lui, ce n'était pas un accident.

- Arrête de vouloir sauver les apparences, crache ma sœur.

- Regarde les choses en face ! Il n'aurait pas pu se trancher la gorge avec autant de précision ! Le couteau ne venait pas de la cuisine !

Lila administre une gifle de nouveau.

- Tu me dégoûtes ! siffle-t-elle.

- Les parents savent-ils que tu as un enfant ? Savent-ils que tu as fait pression pour avoir ton poste ? Que tu as complètement raté ta vie professionnelle parce que tu ne comprends rien de ce qu'il faut faire ? Que tu fais courir la banque de papa à la faillite ? Savent-ils que tu as triché pour le BAC ? lui susurrais-je si bas que seule elle entendit.

- Tu n'oserais pas..., lâche-t-elle.

Je lui souris, non, je n'ai pas le cœur à faire cela, à étaler sa soi-disant "réussite".

- Je vais y aller, dis-je. Je reviendrai peut-être.

- Pourquoi peut-être ? me demanda ma mère.

- J'en ai marre de ton confit de canard et de tes tiramisus que tu rates à chaque fois, j'en ai marre que tu racontes des anecdotes humiliantes de mon enfance à James, j'en ai marre de voir ce regard de reproche que tu crois si bien dissimuler, dès que tu me regardes, tu me tiens pour responsable de la mort de Peter, mais je n'ai rien fait. J'en ai marre que tu étales la réussite de Lila, tu n'aimes pas James mais tu crois sauver les apparences. Arrête de te voiler la face, maman, tu sais que j'ai raison, au final tu ne vaux pas mieux que ma sœur.

Je tourne les talons et monte dans la voiture, James me rejoint, je démarre, nous partons, Carnivore de Starset résonne. Je viens de foutre un l'air la quiétude dans laquelle ma mère s'est plongée, mais elle a bien foutu ma vie en l'air, ce n'est que partie de remise.

Nos Vies De MensongesOù les histoires vivent. Découvrez maintenant