ENSEMBLE

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Dans le couloir infini de l'hôpital, Alexeï attend. Il attend Clara, il attend qu'elle s'explique, qu'ils se parlent enfin. Il a apporté avec lui des polaroïds, d'eux-deux, pendant le road-trip. Il s'est dit :

« Peut-être qu'avec ça, je pourrai stimuler sa mémoire, peut-être qu'avec ça, je pourrai essayer d'être plus qu'une ombre dans sa mémoire, peut-être... »

Mais en arrivant, avec Luke et David, après l'échec d'il y a deux jours, il ne s'est jamais aussi senti angoissé. David est partit parler avec Charlotte, Luke avec Inès, mais la seule qui ne se sent pas prête de le voir, c'est Clara. « En même temps, t'as pas choisi la plus facile », lui souffle une voix dans sa tête. Ce n'est pas faux. Clara n'est pas la plus simple de tout ce groupe. Et c'est justement ce qu'il lui avait plu, dès le départ. Deux âmes tordues et torturées.

- Alexeï, qu'est-ce que tu es encore venu faire ici ?

Ça y est, Clara est apparue devant la porte de sa chambre. Elle se tient dans l'embrasure de la porte, ses deux bras croisés sur sa poitrine ; elle le regarde, et semble fatiguée. Oui, Clara est fatiguée, de tout ce cirque, de toute cette mascarade. Pourquoi essayer de se rappeler des souvenirs qui n'existent plus ? Elle aimerait qu'on lui foute la paix, juste, qu'on l'oublie à son tour, un peu de temps. Elle aimerait revenir à sa vie d'avant, pouvoir sortir de cette maison de repos qui ne fait que l'enfoncer, et ne plus voir cet Alexeï qui s'entête à revenir.

Il pénètre dans la chambre sans attendre l'invitation de Clara. Poussant un profond soupir, elle ferme la porte, et le regarde faire les cent pas dans cette chambre qui est la sienne depuis deux semaines maintenant.

- Je t'ai apporté des Polaroïds, annonce-t-il en se retournant vers elle.

- Pourquoi faire ?

- Pour que tu te rappelles.

- Me rappeler de quoi ?

- De nous !

- De nous ? Est-ce qu'il y a eu un nous au moins ?

Elle est allée trop loin, elle le sait. Elle lui fait du mal, elle le voit dans ses yeux. Elle sent qu'il n'est pas patient, qu'il est blessé. Il plisse les yeux, laisse retomber ses bras. Il pose une petite pile de Polaroïds sur son lit défait, et se dirige vers la porte. Passant près d'elle, il s'arrête. Il la fixe de son regard pénétrant, et s'approche doucement vers elle. Il lui prend délicatement son menton, ce qui l'oblige à lever les yeux vers lui. Il se penche doucement, leur souffle se mélangeent. Ses lèvres effleurent les siennes.

FLASHBACK, Alcatraz.

21 juin, dans un couloir humide d'une prison bannie depuis des années. Énervement contre un Russe qui se la croit plus qu'il ne l'est. Enfermement dans une cellule, pour plaisanter. Re énervement. Culpabilité. Situation cocasse, puisque la grille a cédé sous son poids. S'est écrasé sur elle. Situation cocasse donc. Se confondre en excuses, puis partir comme un voleur. Puis revenir vers elle, la plaquer contre le mur, et l'embrasser comme si elle allait disparaître. Et ne rien regretter. Surtout ne rien regretter.

FIN DU FLASHBACK.

Alexeï se détache doucement de Clara. Il plante son regard dans le sien, et lui dit d'une voix qu'il n'a jamais connue d'aussi sincère :

- Oui, il y a eu un nous. 

Il passe le pas de la porte. « Alcatraz », murmure Clara. Mais il ne l'a pas entendu. Il est déjà bien loin dans le couloir infini et silencieux, vide de bruit, vide de vie. 

Ne reste qu' un souvenir amer. Qu'un goût aigre et piquant. Qu'un goût âcre et confus.



Pour vous revoir un jourOù les histoires vivent. Découvrez maintenant