Chapitre 2

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17 septembre 1938

J'ai beau ne voir ma mère qu'à de très rares exceptions depuis huit ans, j'ai beau ne pas comprendre vraiment pourquoi elle suit aveuglément Ernst dans toutes ses décisions elle n'en reste pas moins ma mère et je sais que malgré l'affection que semble lui porter mon beau-père, elle sera irrémédiablement en danger si je ne respecte pas ma parole.

Le simple fait de savoir que mes seuls actes pourraient signifier de terribles souffrances physiques pour ma mère me terrorise. J'ai conscience qu'en réalité, son bien-être et pire sa vie dépend entièrement de moi et de mon comportement.

Bien entendu je pourrais lui en vouloir car si elle ne s'était pas remariée avec Ernst, je n'en serais pas là. Mais je n'arrive pas à la rendre responsable de mes malheurs : elle était une sorte d'âme désœuvrée, elle avait enduré trop d'épreuves avec mon père naturel et je me rends compte à présent qu'elle a toujours eu cette mentalité d'obéir sans broncher, de subir au lieu de protester.

Elle n'a pas et ne veut pas avoir les armes physiques et psychologiques pour lutter contre l'ordre établi. D'ailleurs elle n'en a pas intérêt désormais : elle est logée, nourrie et vêtue presque comme une reine, elle passe quasiment tout son temps entourée des femmes de ceux qui occupent les postes les plus importants au sein des rouages du pouvoir allemand.
Pourquoi dès lors protesterait-elle, elle qui vit maintenant dans le luxe et l'aisance ?

Je ne la comprends pas. Je ne l'ai d'ailleurs jamais comprise. Mais elle est ma mère, celle qui m'a mis au monde et qui m'a permis, à défaut de me fournir affection, amour et respect, de bénéficier d'un toit, d'un lit et de trois repas par jour.

Je n'arrive pas à lui en vouloir, non : Renata ne m'avait de toute façon pas inculqué des valeurs négatives.

Curieusement, si ma mère ne m'a jamais vraiment aimé, moi en revanche, je ne peux la détester : elle a toujours été malheureuse. Même ma naissance l'avait rendue malheureuse tant mon père était furieux, lui qui ne voulait pas s'encombrer d'enfants.

Voilà pourquoi je ne pourrais jamais lui faire du mal ou lui reprocher quoi que ce soit : même si elle ne m'avait pas souhaité, elle m'avait permis de vivre, elle m'avait sauvé la vie alors que mon père ne souhaitait qu'une seule chose : que je crève.

Ma mère avait en outre subi les mêmes mauvais traitements que moi : je me rappelle parfaitement ces soirées où mon père évacuait sa frustration sur elle et moi, ces instants où n'importe quel objet de la maison devenait une arme, un support pour lui permettre de mieux nous frapper, de nous punir pour la simple raison d'exister et de nuire à ses projets.

Est-ce que ma mère allait me manquer ? Je ne sais pas, je ne crois pas, je ne la voyais déjà presque plus.
Je n'ai de toute façon pas vraiment eu le temps d'y réfléchir car dès le lendemain de la signature de mon engagement dans la Wehrmacht j'avais été prié de faire mes bagages et de quitter la demeure pour rejoindre la caserne qui serait désormais ma maison : évidemment faire mon sac ne m'a pas pris beaucoup de temps car je ne possède rien.

Dans mon nouvel environnement, à mon grand désespoir, j'ai retrouvé bon nombre de garçons qui avaient fréquenté mon école privée et qui avaient obtenu une médaille d'or de la Hitlerjugend.

Immédiatement j'ai tenté de demander un changement d'affectation mais j'ai vite compris que là encore, il était impossible de faire quoi que ce soit sans que Ernst ne soit tenu au courant car il avait poussé le vice jusqu'à m'imposer son propre frère, Karl, comme supérieur.
Naturellement, ce dernier avait pour mission de rapporter tous mes faits et gestes à mon beau-père et il avait surtout reçu comme consignes de faire de ma vie un enfer, de me faire souffrir encore et encore.

Les sentiers de l'espérance {publié aux éditions Poussière de Lune}Où les histoires vivent. Découvrez maintenant