28 septembre 1938
La nuit, je ne dors presque plus tant j'ai peur que l'un de mes condisciples essaie de m'étouffer avec un coussin : ma tentative de meurtre sur Frank, soldat adulé et vénéré par tous, est très mal passée, elle m'a fait perdre les deux ou trois soutiens que j'avais vaguement au sein de la section et lors de la nuit qui a suivi mon retour dans le dortoir, par trois fois quelqu'un a essayé d'attenter à ma vie.
Cinq jours consécutifs de cachot, de privations et de punitions aussi barbares les unes que les autres ont eu raison de moi : je ne me reconnais plus, en fait, je suis réellement devenu un couard comme se plaisaient à le répéter mes camarades : je redoute par-dessus tout de me retrouver seul dans un des couloirs ou une des salles de classe de la caserne tant j'ai compris qu'ils étaient nombreux ceux qui désiraient me faire la peau. La seule raison pour laquelle je suis encore vivant c'est mon lien de parenté avec Ernst : même si ce dernier me déteste plus que tout, les autres soldats ont peur de représailles. Aussi, je sais parfaitement qu'ils cherchent par tous les moyens à maquiller ma mort en affreux accident ou en suicide.
A force de me retrouver à l'infirmerie, le médecin chef avait finalement eu pitié de moi et il était allé trouver les dirigeants de la caserne en spécifiant que le rôle des officiers était de former les soldats et non de tenter de les tuer. Lorsqu'il m'avait parlé de sa démarche, je l'avais dévisagé d'un air triste car je savais qu'il ne resterait plus longtemps ici : effectivement dès le lendemain il était prié d'aller exercer ses talents ailleurs.
Les autres membres de l'équipe médicale ne sont absolument pas préoccupés par ma santé précaire et ne me soignent pas comme il le faut. Mes pieds me font horriblement souffrir en raison des multiples coupures au rasoir que le second de Karl s'est amusé à me faire : il avait envie de tester de nouvelles techniques pour les interrogatoires destinés aux opposants du Reich.
D'après ce que j'ai compris, notre division est amenée à devenir une sorte de section d'élite : évidemment, il est inconcevable que tous les fils à papa qui se trouvent ici fréquentent les hommes issus de milieux ouvriers ou modestes.
Une nouvelle fois aujourd'hui, le premier test de la journée est celui de la grenade : il faut l'armer sur notre casque et attendre l'explosion au garde à vous. J'ai appris à maîtriser mes émotions et j'arrive à cacher l'appréhension que suscite chez moi cet exercice atroce. Par contre, non loin de moi, je vois une grande tâche apparaître sur le pantalon d'un autre soldat.
Jürgen ne peut s'empêcher de se moquer de lui et de le trouver grotesque. Frank, quant à lui, se montre faussement indigné et il n'hésite pas à dire à voix haute que la Wehrmacht n'a pas besoin de fillettes dans ses rangs.
Lorsque nous sommes autorisés à retourner dans nos quartiers pour nous reposer un peu, je vois le malheureux jeune homme être brutalement emmené vers un endroit que je ne connais que trop bien et j'ai de la peine pour lui. Avec un peu de chance il sera révoqué et retrouvera sa liberté. Mais il causera aussi la plus grande honte à sa famille.
Je m'assieds sur mon lit, les bras passés autour de mes genoux et j'attends qu'arrive l'heure du repas de midi. Jürgen, dont le lit est voisin du mien, s'affale sur le matelas en riant : manifestement il vient d'avoir une discussion avec Frank qui l'a mis de très bonne humeur. Tous les deux font comme si je n'existais pas et poursuivent leur conversation :
- Donc la fille, elle n'avait même pas conscience des risques ?
- Absolument pas.
- Quelle idiote ! Ses parents l'ont déshérité je présume ?
- Et ils lui ont notifié de partir immédiatement de chez eux : leur réputation en a pris un sale coup ! Bien entendu, elle est passée chez un médecin réputé avant...
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Les sentiers de l'espérance {publié aux éditions Poussière de Lune}
Fiksi SejarahEn septembre 1938, à 18 ans, Adam Kowalski rejoint les rangs de la Wehrmacht sur ordre de son beau-père, membre de la haute bourgeoisie berlinoise. Victime de moqueries, d'agressions et de sévices permanents de la part des soldats allemands, c'est a...