Chapitre 5: Liam.

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Thomas ouvrit son paquet de chips d'un geste expert. Il jeta un regard à son père qui regardait un match de rugby dans le canapé, puis Thomas s'installa sur le fauteuil en cuir près de la baie vitrée, regardant la pluie dégouliner sur le verre. Il faisait sombre, soir d'orage, des gros nuages avaient assombris le ciel en fin d'après-midi et il avait commencé à pleuvoir quand Thomas tirait les grandes portes du garage pour le fermer. Le mois d'août commençait à peine et il était d'humeur bizarre depuis deux semaines. Il avait failli tabasser un mec l'autre soir dans la rue parce qu'il lui avait fait une réflexion sur son tee-shirt. Il n'arrivait plus à contenir sa colère, comme si chaque être humain qu'il croisait le répugnait encore plus que le précédent. Même l'image du garçon dans sa tête ne parvenait plus à le calmer. Il avait sans cesse ce sentiment bouillonnant dans le ventre, l'envie irrésistible d'arracher la tête à chaque petite gamine qui riait trop fort, à chaque mec en jogging qui hélait les jolies filles dans la rue avec des phrases stupides, à chaque père de famille qui se laissait déborder par ses gosses criards et indisciplinés. 

Demain, c'était l'anniversaire de la mort de sa mère, son père se bourrerait sans doute la gueule à grand verre de Grand Marnier, jurant contre la Terre entière d'avoir fait crever sa femme. Thomas fit craquer les chips sous son palais, il contemplait le petit jardin derrière leur maison, les herbes avaient poussé sans que personne ne se préoccupe de les couper. C'était haut, désormais, il pouvait se coucher dedans et disparaître. Il ne voulait que ça, disparaître, s'évaporer comme de l'eau au soleil, s'envoler comme un oiseau vers d'autres horizons. Il étouffait ici. Son père lui demanda d'aller vérifier que les fenêtres étaient bien fermées en haut et Thomas s'exécuta sans rechigner. Il montait les marches quatre à quatre et vérifia chaque pièce, fermant celles restées ouvertes puis s'attarda dans sa chambre, criant du palier de l'escalier à son père que c'était bon. Il rentra dans sa chambre, s'arrêtant à l'embrasure et se hissa sur la barre de tractions, il en fit quelques unes, histoire de garder la forme. Il ne pourrait pas aller courir ce soir, il ne pouvait pas lorsqu'il y avait des orages, c'était trop dangereux en forêt. C'était peut-être ça aussi, qui expliquait que sa colère augmentait en flèche, il ne pouvait pas se détendre, respirer, se sentir vivant, étendre ses jambes pour courir encore plus vite. 

Thomas finit par s'endormir, sur le fauteuil en cuir en bas, dans le salon, alors que son père était monté se coucher et que lui était resté pour regarder le pluie tomber. Demain, la forêt serait trempée, mais il y aurait cette odeur, cette odeur si particulière qu'on peut sentir après la pluie. Cette nuit-là, deux semaines après la disparition du jeune blond et de la visite du fils Spencer, Thomas eu un sommeil agité, sa mère venait le hanter, encore une fois depuis ces deux semaines, elle ne faisait que ça, lui répéter inlassablement qu'il n'était qu'une erreur de la nature. Mais jamais il ne culpabiliserait pour la mort de sa mère, elle souffrait d'un cancer, certes, mais elle avait quand même décidé de mettre fin à ses jours, disant que c'était de sa faute. Thomas n'y avait jamais cru, Thomas savait que se parents l'aimaient mais que la maladie de sa mère lui avait grillé le cerveau, comme on grille une allumette. Elle était là, dans son esprit à jouer avec ses nerfs, à le rendre parano, à le faire détester la Terre entière, à devenir violent. Elle était assise dans sa chemise de chambre bleu claire, trop grande pour son corps devenu si maigre, une cigarette coincée entre ses lèvres violettes. Il la voyait se bousiller la vie à grands coups de nicotine, de whisky et de morphine : cocktail poison. 

Thomas hurla comme un fou, il hurlait à s'en briser les cordes vocales, la vision de sa mère, les yeux hors des orbites, lui donnait la chair de poule. L'orage grondait au dehors et Thomas hurlait, un cri qui fendait le silence de la maison brusquement, un cri déchirant les cœurs, un cri de douleur, de peine, de chagrin.

Thomas ouvrit les yeux, la main portée à sa gorge en feu, il avait chaud mais était tout tremblant, tétanisé par la peur. Il avait eu si peur que le retour à la réalité lui semblait la meilleure chose qui puisse lui arriver. Ses rêves se transformaient systématiquement en cauchemar depuis les deux dernières semaines, depuis la disparition du blond dans son esprit, comme s'il était condamné à ne plus pouvoir rêver, ayant toujours cette crainte de s'endormir et de laisser libre espace à ses démons. Le blond de son esprit empêchait tout ça, il l'empêchait de se noyer dans la noirceur, de couler dans les ténèbres. Mais cette nuit encore, il avait disparu, comme s'il l'avait fui, ayant trop peur de lui, de son antipathie, de sa misanthropie, de cette haine sourde envers l'espèce humaine. Il était devenu sensible à la présence du blond, le voulant à ses côtés désormais, ne l'obligeant plus à partir, ne le chassant plus. Mais c'est quand il avait eu besoin de lui, que le blond s'en était allé. Pourtant, Thomas aurait voulu le rencontrer en vrai, lui parler, lui faire comprendre que peut-être lui, ce blond, avait la possibilité de se faire aimer. Mais son identité restait floue, inconnue et obscure, alors que les traits de visage du jeune blond dans son visage s'effaçaient peu à peu dans son esprit, le faisant disparaître...

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