CHAPITRE UN : LE DEPART ~ #4 : Incarnations animales

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Je dus attendre environ une dizaine de minutes dans le noir avant que les lumières du wagon ne s'allument et environ une quinzaine avant que le train démarre.

Quand le train entama sa course, je me laissai bercer par les secousses. Mon corps tout entier se balançait légèrement dans le wagon où les néons clignotaient inlassablement à intervalles irréguliers. J'avais les mains moites et un peu tremblantes. Le tube métropolitain, emblématique londonien, avait grandement évolué depuis sa création. D'abord un train réservé à la ville puis il s'est étendu aux provinces ; a été rénové, remplacé, amélioré ; traversant aujourd'hui la mer, de la Cité Mère jusqu'à Vauban. La voie ferrée n'avait sûrement pas été changée depuis une trentaine d'années. Je l'avais toujours connue comme ça.

En seulement une trentaine de minutes, j'avais traversé l'océan qui séparait Vauban et Big Ben. Je dus, encore une fois, attendre un peu avant que les portes du tunnel ne s'ouvrent, me laissant enfin percevoir la lumière du soleil. De nouveau ce grincement métallique : me voilà arrivé.

Je sortis du train. La lumière éblouissait mes yeux fatigués. Je marchais lentement vers le bout du tunnel. La main devant mes paupières entrouvertes, j'essayai d'apercevoir, entre mes doigts, les environs : il était encore tôt mais le ciel était bleu. Le quartier commençait à s'éveiller : tous commencèrent à sortir des grands immeubles et marchèrent dans les rues. Les individus marchaient, têtes baissées, vers les usines et centres de main-d'œuvre. Les individus, dans leurs habits identiques, semblaient être des copies, des fantômes, des moyens. Une salopette bleue jean pour les hommes (toujours tâché et pleine de crasses en tout genre) et une jupe longue noire accompagnée d'un chemisier bleu uni : voilà les habits règlementés. Je faisais un peu tâche parmi eux.

Des haut-parleurs diffusaient des messages en anglais : « Quartier A3 - Bee : Nous vous rappelons qu'il ne vous reste plus que dix minutes pour vous présenter au poste de contrôle de votre usine, et que tout retard sera sanctionné par une diminution du salaire. » Des propos très objectifs qui fixaient des règles rudes.

Je connaissais le chemin : je devais remonter cette grande avenue de modeste habitation. En effet, ce quartier était très dégradé. Je continuais ma course en écoutant les autres discours : « J'aimerais aujourd'hui, comme chaque jour et à chaque seconde de votre vie, vous partager mes préceptes... Les abeilles, fabuleuses créatures, n'est-ce pas ? Elles sont travailleuses, merveilleuses, admirables ! Avez-vous déjà vu une abeille chômer ? Une abeille demander un arrêt maladie ? Ou même, une abeille se révolter ? Jamais ! Les abeilles travaillent pour leur Reine, et la Reine les nourrit en retour. Les abeilles ne peuvent vivre sans elle. Tout comme ici. Alors, Faites l'abeille ! Faites l'abeille ! » Ce discours se répétait inlassablement toutes la journée. C'était du véritable bourrage de crâne, de la propagande intense et répétée.

Aussi, les résidents étaient payés en jetons qu'ils ne pouvaient qu'utiliser dans les boutiques du quartier. De toutes façon, ils ne pouvaient pas aller dans les autres divisions, ou en tout cas, pas sans une autorisation.

La Cité de Big Ben était découpée en plusieurs divisions. Chacune était responsable d'un corps essentiel pour maintenir le système : Celle dans laquelle j'étais, A3, symbolisée par l'abeille travailleuse, correspondait au quartier industriel ; A2, le quartier savant, était représenté par une chouette (ce qui définissait la sagesse, la réflexion, l'intelligence, la connaissance et l'érudisme.) ; puis A4, quartier de l'agriculture - chimique - qui est évoquée par un écureuil prévoyant, agile, et qui incarne l'approvisionnement ; A5, quartier militaire, exprimé par un ours puissant et imposant ; et enfin la première division, A1, quartier royal, personnifié par un aigle dominateur et supérieur.

Pour passer d'un quartier à un autre, il y avait les mêmes murs que ceux qui entouraient la ville, semblables à ceux de Montparnasse mais en plus hauts. Mes papiers furent contrôlés puis on me laissa entrer dans le quartier A2 - Owl. De là, je parcourus les rues propres à l'architecture élégante, dont les immeubles de quartz blanc reflétaient la pureté. La technologie rayonnait dans les rues par les panneaux publicitaires holographiques : « Votre réussite, notre satisfaction ! » « L'intelligence c'est le rayonnement de la société : vous êtes notre plus belle réussite. » ... Dans cette division, les civils étaient tous en costumes ou dans des robes cintrées très strictes. « Votre Reine Meredith vous souhaite une excellente journée » : les discours changeaient beaucoup d'un quartier à l'autre. J'avais encore ce sentiment de faire tâche.

Puis, après un second contrôle, j'arrivai au quartier A1 - Eagle. Dans ce dernier, on retrouvait les vieux bâtiments de Londres et bien sur le Big Ben, qui s'imposait. Cette division de la Cité était très belle et riche d'histoire. J'avais rendez-vous au pied de la Tour avec un certain Chris. Je dû attendre quelques minutes avant qu'une voiture noire ne s'arrête sur le bord de la route.

UN CŒUR TAILLÉ DANS LA PIERRE | Science-FictionOù les histoires vivent. Découvrez maintenant