Adieu la famille

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« Nao, excuse-moi pour tout à l'heure », fit Hyzerfrid à travers la porte.

L'adolescente, assise sur son lit, les bras passés autour de ses genoux, ne répondit pas. Elle entendit sa mère jouer avec la serrure, sans succès. Pas de chance, les charmes-verrous, Naola les maîtrisait depuis des lustres grâce à l'internat.

« Naola, ouvre-moi, s'il te plaît...

– Va te faire voir », murmura la jeune fille, trop bas pour être comprise.

À la fin de leur altercation, Hyzerfrid l'avait envoyée « se reposer et réfléchir » dans sa chambre. Une punition dérisoire par rapport à la situation, qui avait tiré un rire nerveux à l'adolescente. « T'es punie, montes dans ta chambre. Le sang sur le tapis ? Je t'interdis de le mentionner. » Ridicule !

Derrière la porte, sa mère et son père échangeaient à voix basse. Toute l'après-midi, ils l'interpellèrent, lui ordonnèrent d'ouvrir, la supplièrent. De temps en temps, elle leur lançait un : « Foutez-moi la paix ! » Ils se lassèrent vers le début de la soirée.

« Écoute, ma chérie, je comprends que tu sois mal... Je... Viens nous parler quand tu seras décidée, capitula son père.

– Ferme-la », marmonna tout bas Naola.

Elle se passa les mains sur le visage et, pour la énième fois, éclata en sanglots qu'elle étouffa tant bien que mal en mordant dans son oreiller.

Comment ses parents avaient-ils pu permettre ce qui était arrivé ? C'était leur faute, entièrement leur faute. Et son père qui n'avait pas levé le petit doigt pour le secourir ! Il avait regardé les Vestes Grises tuer ce gars sans rien faire. Quel lâche ! Et à présent, ils voulaient qu'elle se taise ? qu'elle oublie ? qu'elle fasse comme si rien ne s'était passé ?

Chaque pensée creusait un sillon douloureux dans son cerveau. Si elle fermait les yeux, elle revoyait l'homme se décomposer sous la torture. Elle l'entendait hurler. Elle se sentait piégée, acculée au bord du vide et sans la moindre prise à laquelle se retenir. Où demander de l'aide ? Les voisins – ses parents avaient au moins raison sur ce point – ne pourraient lui apporter aucun secours. Dans le quartier, tout le monde se craignait déjà, et les faux airs bienveillants de la mère Kendel ne faisaient que le confirmer.

Naola se résigna à l'évidence : elle était seule. Sa chambre, son refuge de toujours, lui paraissait plus oppressant qu'une prison. Assise dans son lit, recroquevillée sur elle-même, l'adolescente tomba dans un état de demi-conscience, sans vraiment s'arrêter de pleurer. Ses nerfs à vif eurent raison d'elle et elle s'assoupit pour de bon.

Elle s'éveilla en pleine nuit, plus fatiguée, plus choquée encore qu'au coucher. Elle ne pouvait plus rester là. C'était impossible. Elle ne pouvait plus se reposer dans cette pièce, dans cette maison de traîtres et de lâches. La maison de ses parents.

Déterminée, elle repoussa les couvertures de son lit. En quelques minutes, son sac était prêt. Il contenait le minimum. Quelques vêtements. Quelques cadres mnémotiques pour l'école. Toutes ses économies. Pas suffisantes. Elle scruta le ciel par la fenêtre. La nuit était noire, la demeure silencieuse ; son père et sa mère devaient dormir. C'était sa chance.

Sur la pointe des pieds, elle sortit de sa chambre et se faufila jusqu'au bureau paternel. Elle connaissait les cachettes de ses parents et savait où trouver les dens qu'ils gardaient en liquide, au cas où, un peu partout dans leur foyer. Son cœur s'affolait de la décision qu'elle venait de prendre : partir sans se retourner.

Elle passa à la cuisine pour se préparer une réserve de provisions. Ses mains tremblaient en glissant du pain, des conserves, des fruits dans son sac-univers. La besace, enchantée pour ne jamais manquer de place, accueillit le chargement avec indifférence. Elle contenait déjà toutes les affaires scolaires de la jeune fille, ainsi qu'une bonne centaine de mnémotiques, deux capes, un manteau, des paires de chaussures et d'autres babioles oubliées là. Même gavé de la sorte, l'artefact conservait une apparence svelte et un poids raisonnable.

À chaque objet qu'elle croisait, Naola avait le cœur qui se serrait. C'était la dernière fois qu'elle voyait toutes ces choses auxquelles elle était habituée et ne prêtait même plus attention. Elle fit disparaître un petit canif dans sa poche.

Après une longue hésitation, elle retira son concentrateur et le déposa sur la table. L'artefact, spécialement conçu pour les jeunes sorciers, ne lui serait d'aucune utilité. Peu puissante, la petite bague était surtout enchantée d'un maléfice de position : où qu'elle se trouve, ses parents pouvaient la localiser. Si elle voulait vraiment fuguer – et elle voulait vraiment fuguer –, il lui faudrait se montrer très discrète. Et puis, avec tout l'argent qu'elle avait récupéré, elle pouvait s'acheter une arme plus correcte que la babiole fournie pour les cours...

Elle fronça les sourcils et eut une idée qu'elle jugea brillante. Elle repassa sa bague, monta très doucement les escaliers jusqu'à la chambre parentale. Sur le pas de la porte, elle lança sans hésiter un petit charme de sommeil profond. Il s'agissait de ne pas les réveiller lorsqu'elle commettrait son larcin.

Sur la pointe des pieds, elle entra dans la pièce. Sa mère dormait habillée sur les draps, dans les bras de son père. Tous deux, même dans le repos, ne paraissaient pas sereins. Naola leur jeta à peine un coup d'œil. Elle se dirigea vers le secrétaire et fouilla dans les bijoux qui y étaient rangés. Le concentrateur de sa mère, un pendentif en entrelacs aux motifs celtiques, était posé sur une étagère, dans un écrin satiné. C'était une relique en iris pur, un métal rare et recherché qui catalysait la magie et constituait la base de tous artefacts sorciers. Un bijou puissant qu'elle ne portait qu'en de rares occasions.

Naola savait qu'elle allait au-devant de nombreux dangers. Une arme redoutable, c'est ce qu'il lui fallait pour les surmonter. Elle disposa sa petite bague à la place du bijou et passa ce dernier autour de son cou. Puis elle sortit, sans un regard pour sa famille qu'elle décida ne plus considérer comme telle.

Quelques minutes plus tard, elle se tenait face au soleil levant sur le perron de la maison de la banlieue de Stuttgart. Et elle commençait sa nouvelle vie. À pied. Se transférer par les réseaux officiels aurait signifié prendre le risque d'être repérée.

Bienvenue au Mordret's Pub - Tome 1Où les histoires vivent. Découvrez maintenant