La pédagogie du vampire

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« Concentrez-vous ! ordonna Mordret.

— Par Merlin, mais foutez-moi la paix », rétorqua Naola.

Ils étudiaient dans la bibliothèque, éclairés par trois grands chandeliers en pied. Naola se tenait debout à côté de la large table de travail, l'une des lectures imposées par son patron installée devant elle.

Elle faisait léviter une sphère de verre noir mat ; un témoin qui jugeait de l'intensité et de l'accomplissement du sortilège qu'on lui jetait. Plus le globe tendait vers le rouge, plus le maléfice était bien exécuté. Plus il émettait de la lumière, plus la magie qu'il jaugeait était puissante. Entre les mains de Naola, l'artefact pulsait d'un paresseux bleu pâle, alors qu'elle s'escrimait dessus depuis des heures. Elle haletait, les dents serrées.

Depuis son arrivée, elle n'avait croisé aucun client. Mordret lui interdisait de descendre dans le bar après vingt et une heures et l'établissement gardait porte close toute la journée. Naola n'y comprenait rien.

Elle ne restait pourtant pas inactive. Du matin au soir, son nouveau patron lui collait des livres à lire et la harcelait d'exercices de magie. Depuis le tout début de ce qu'elle se résignait à appeler un entraînement, le vampire se montrait d'une impatience rare. Il la rabaissait sans arrêt, toujours à la limite de l'insulte et sans manifester la moindre compassion ni le moindre enthousiasme à ses progrès.

« Il ne serait pas surfait que votre performance s'élève, ne serait-ce qu'un peu, au-dessus du déplorable », commenta Mordret en se relevant de son fauteuil.

Il gronda, un grondement du fond de la gorge, très grave, menaçant, sec. En une semaine, la jeune fille ne s'était pas habituée à ces grognements. Ils lui collaient la chair de poule. Ils faisaient remonter une peur instinctive, bien légitime. Les manuels définissaient les vampires comme des créatures prédatrices de toutes choses vivantes.

La sphère noire pétarada, cracha des étincelles et sauta de sa main qu'elle laissa légèrement brûlée. Naola leva aussitôt son concentrateur et recula en dressant un charme de protection devant elle. Mordret lança son poing fermé en direction de son épaule. Elle renversa une chaise, mais évita de justesse le coup.

Depuis la veille, le vampire semblait avoir atteint un palier supplémentaire dans son exécrable pédagogie : lorsqu'elle échouait, il cherchait à la frapper. Jusqu'à cette esquive, il y était toujours parvenu. Elle ne put apprécier cette petite victoire.

« Si vous me laissiez travailler en paix je m'en sortirais mi... Ha ! »

Elle sentit l'impact, sur son bras, à l'endroit habituel, se répercuter sur toute son ossature. La poigne de Mordret la projeta contre la table proche. Elle s'y agrippa pour ne pas tomber au sol. Elle n'avait vu aucun des mouvements du vampire et ça n'était pas dû à l'obscurité relative de la pièce.

Elle constatait, chaque jour, qu'en plus de frapper fort, Mordret était excessivement rapide. Lorsqu'il le décidait, la sorcière ne percevait plus aucun de ses déplacements. Elle retint une plainte entre ses dents serrées et se redressa, le regard bas, les poings fermés à s'en faire blanchir les phalanges.

« Éviter le premier coup ne pourrait être considéré comme satisfaisant. »

Sans qu'elle le voie, le vampire avait repris sa place, bien installé dans son fauteuil.

« J'arrête, articula la fille d'une voix blanche.

— Vous démissionnez, demanda Mordret d'un ton si monocorde qu'il était impossible de qualifier sa phrase de question.

— Non. J'arrête vos conneries. J'en ai marre de me faire frapper. J'en ai rien à faire de savoir me battre ou éviter les coups. J'en ai marre de vous entendre dire que je suis mauvaise. J'ai le meilleur niveau en magie de ma classe ! Merde ! Je suis ici pour faire le service, pas pour que vous vous défouliez sur moi !

Bienvenue au Mordret's Pub - Tome 1Où les histoires vivent. Découvrez maintenant