La rosée ornait l'herbe et les fleurs du parc aux Agates d'une parure scintillante, la lumière rasante des premières lueurs de l'aube miroitait sur mille gouttelettes. C'était le plein été, mais le ciel dépourvu de nuages rendait les nuits très fraîches. Naola avait peu dormi, allongée sous une couverture trop fine. Elle s'était dissimulée dans le bosquet touffu derrière lequel elle avait trouvé refuge ces deux derniers jours.
Le parc aux Agates était un petit jardin public aménagé à l'anglaise dans les quartiers les plus prisés de Stuttgart. En venant s'y perdre, l'adolescente avait limité le danger. Pas de mauvaises rencontres. Pas, non plus, de risques de se faire repérer : elle n'utilisait pas sa magie.
La grande banlieue où se trouvaient sa maison et le centre de Stuttgart était distante d'une soixantaine de kilomètres. Pour Naola, habituée à se déplacer via le réseau de transfert de la Fédération, ce chiffre ne représentait rien. Avant, elle n'avait aucune échelle de valeurs pour juger de la difficulté et du temps que prendrait une telle randonnée. Maintenant, elle savait. Des jours. Et un sacré mal aux pieds.
Elle était arrivée dans les beaux quartiers l'avant-veille mais, en dépit de l'alléchante perspective d'une chambre dans l'un des hôtels du centre-ville proche, Naola n'avait pas réussi à reprendre sa route. Elle ne pouvait plus marcher. Épuisée, elle avait songé à faire demi-tour. Avec un transfert, en moins de deux secondes elle aurait retrouvé le confort de son lit, la sécurité de sa maison. Lorsqu'elle doutait, il lui suffisait de penser à Sverre, à sa mort atroce et au rôle que son père avait joué dans l'agonie de l'homme pour réaffirmer sa détermination.
L'adolescente grogna en se redressant et se frotta vigoureusement les bras pour se réchauffer. Ses jambes semblaient enfin décidées à lui obéir – même si ses pieds continuaient de protester. Elle négocia furieusement avec elle-même pour trouver l'énergie de se remettre en route. Après tout, il ne restait qu'une dizaine de kilomètres à parcourir ! La promesse d'un lit bon lit et d'un repas chaud acheva de la réconforter. Le plus dur était fait. Restait à ne pas se faire choper, et tout irait bien.
L'adolescente s'imaginait recherchée par les P.M.F., ou pire, par l'Ordre. Les menaces de la Veste Grise l'avaient tenue éveillée une bonne partie des deux premières nuits passées à la belle étoile : « La prochaine fois que je te croiserai, gamine, tu vas salement regretter de m'avoir mordu. Fais gaffe à toi. »
Puis la fatigue avait eu raison d'elle.
Naola s'extirpa de sa cachette, regroupa ses affaires, hissa son sac sur son épaule et alla s'installer sur le banc le plus proche. Le parc apparaissait dans toute sa superbe. Conçu par un paysagiste visionnaire, cet espace vert rendait un glorieux hommage à la beauté de la nature ; à sa magie qui persistait encore et toujours, malgré l'insistance des humains à la meurtrir.
La jeune fille faisait face à une série de modestes étendues d'eau, les Agates, protégées par un écrin de pelouse vallonnée et entremêlée de saules. Les arbres centenaires, plantés peu après les Cataclysmes, pleuraient leurs branches jusqu'à l'ondée. Ils la caressaient avec délicatesse et faisaient chatoyer le flot de petits cercles, à la lumière du jour naissant.
L'architecte avait conçu la scène pour qu'on puisse, de ce banc précis où Naola se tenait, observer le soleil jouer de ses rayons sur le paysage, de ses premières lueurs à ses feux moribonds. L'endroit incitait à la contemplation, à la méditation, au calme. C'est ce qui avait interpellé l'adolescente, ce qui l'avait stoppée dans sa fuite sans but.
Elle remonta les jambes sur l'assise, passa les mains autour de ses genoux, y posa son menton et soupira. En partant de chez elle, Naola n'avait imaginé qu'un vague projet. Rejoindre la ville pour y trouver de quoi loger, en attendant la reprise des cours. C'était le début des vacances d'été. Dans deux mois et demi, elle pourrait retourner à l'internat.
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Bienvenue au Mordret's Pub - Tome 1
VampireQuels lâches ! Jamais Naola n'aurait pu imaginer que ses parents puissent agir ainsi. Elle ne peut plus rester avec eux. Elle ne peut plus leur faire confiance. Pas après ce qu'il s'est passé, pas après ce qu'ils ont fait.Déçue mais déterminée, la j...