La gargote des mécamages

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Naola dépassa rapidement les quelques rues les plus fréquentées, celles qu'elle connaissait le mieux, et s'engagea, au hasard, à travers le dédale de passages qui se firent, à mesure de sa progression, plus sombres et plus étroits. Elle décida d'éviter toutes les zones qu'elle avait déjà fréquentées auparavant, paniquée à l'idée que ses parents puissent l'y chercher.

Finalement, après avoir erré toute une partie de la journée et dormi une bonne partie de l'après-midi dans un coin sombre, elle échoua à la tombée de la nuit dans un bar du quartier couvert.

Mal éclairée et basse de plafond, la petite gargote, était bondée, mais on y servait à manger. L'odeur d'un plat en sauce qui mijotait dans l'âtre d'une grande cheminée aviva la faim de Naola. Elle s'affala sur l'une des chaises libres près du comptoir et commanda un jus de fruits et une assiette. Le barman la toisa de haut en bas avant de lui apporter ce qu'elle voulait.

« On s'est perdue ? » demanda-t-il sur le ton de la conversation.

Naola lui décocha un regard noir. C'était sa façon de s'exprimer depuis sa fugue. Les regards noirs, ça éloignait les gens. Ils ne posaient pas de question et ils ne la faisaient pas chier. Un super pouvoir, le regard noir, songea l'adolescente, dont l'humeur était descendue du morose jusqu'au sombre au cours de cette journée d'errance. Elle n'était pas beaucoup plus avancée qu'au matin. Excepté le fait qu'elle ne trouverait plus de buisson où dormir et qu'il lui faudrait maintenant payer pour passer une nuit dans un hôtel minable. Elle n'avait pas imaginé les prix pour se loger si élevés. Le barman, à son silence glacial, n'insista pas et la laissa tranquille.

L'adolescente mangea plus ou moins en paix dans le brouhaha ambiant. La clientèle de la gargote s'avérait masculine et très joyeuse mais, à vrai dire, Naola était trop occupée à ingurgiter son premier repas chaud depuis longtemps pour se donner la peine de détailler son environnement.

Un homme prit place à côté d'elle et lui adressa un sourire auquel elle répondit par une grimace. L'imbécile dut prendre la chose pour un encouragement car il lui demanda :

« Alors, on s'est perdue ?

– Merlin, mais lâchez-moi avec cette question de merde ! » grogna l'adolescente, le nez dans son verre.

Elle avait l'air si paumée que ça ? Elle détourna la tête histoire de bien faire comprendre qu'elle ne comptait en rien engager la conversation. L'autre s'accrocha :

« T'as quel âge, gamine ?

– Lâche-moi », claqua-t-elle d'une voix sèche en reportant son regard sur lui.

Il portait une barbe de quelques jours, les cheveux longs, cachés sous un bonnet noir. Sa silhouette nerveuse se dissimulait sous un blouson sombre et des gants en cuir. Un accoutrement étrange. Elle l'avait vu entrer, du coin de l'œil, plus d'une demi-heure plus tôt. Il avait bu quelques verres et semblait déjà éméché. A posteriori, la jeune femme se dirait que ce détail aurait dû l'alerter. Un sorcier tenait bien mieux l'alcool.

Naola estima qu'il devait avoir une quinzaine d'années de plus qu'elle et que, pour un adulte, il ne se fringuait franchement pas de façon sérieuse. La réflexion manqua de la faire sourire. Elle se rendit compte qu'elle avait besoin de sourire. L'homme le perçut, car au lieu de se renfrogner, il rit à sa réplique cinglante.

« Je te paie à boire ? proposa-t-il

– Non, merci.

– Un autre jus de fruits ? demanda-t-il, l'air taquin. Je te donne quoi... seize ans ?

– Mais ta gueule ! Je suis majeure ! » mentit-elle.

Elle commençait à s'énerver et il rit de plus belle. Il fit un signe au barman qui s'approcha en fronçant les sourcils.

Bienvenue au Mordret's Pub - Tome 1Où les histoires vivent. Découvrez maintenant