Naola serra les dents. Elle soutint quelques secondes le regard glacé de Mordret avant de détourner les yeux. Sans un mot, elle se leva et tourna les talons. Elle regagna sa chambre et s'effondra sur son lit, submergée par une vague de chagrin qui la laissa sans force. Elle passa des heures à pleurer, jusqu'à sombrer dans un demi-sommeil, plus poisseux que reposant.
Qu'est-ce qu'elle allait faire ? Pouvait-elle tout recommencer ailleurs ? Loin de cet horrible vampire ? Loin de cette ville ? Devait-elle retourner chez elle et oublier tout ça ? Toute la sinistre complexité de la vie des adultes ?
Rentrer, revoir ses parents. Les conversations simples qu'elle avait avec sa mère lui manquaient. Les virées en hexoplan avec son père aussi. Pour la première fois depuis sa fugue, elle envisagea un retour possible sans se révolter à cette pensée. Si elle se pointait chez ses parents, ils n'auraient peut-être pas le cœur de la mettre à la porte ? Teija avait peut-être mal compris, après tout... Elle devait au moins tenter le coup.
Vers le milieu de la nuit, la jeune fille avait pris sa décision : elle rentrait chez elle. Elle arrêtait les conneries, elle arrêtait de se mettre en danger.
Elle fourra tout ce qu'elle possédait dans son sac, noua sa cape, une écharpe, puis descendit et sortit du pub par la porte de service.
Une fois dehors, l'adolescente hésita à demander un transfert, puis se décida à marcher, une dernière fois, dans le quartier des Halles Basses. Son estomac se contractait d'une terrible angoisse. Et si ses parents la laissaient vraiment à la porte ?
Les ruelles sombres se succédèrent jusqu'à ce que la jeune fille se rende compte qu'elle tournait en rond, perdue dans ses pensées. Naola leva les yeux vers les toits et avisa un passage vers les hauteurs. À cela aussi, elle voulait dire au revoir.
Là-haut, la lune à demi pleine éclairait la nuit et la mer de tuiles d'une lumière d'argent. Les étoiles scintillaient, bien visibles sur la voûte noire. Naola marcha un moment sur les poutres et les tôles, puis s'installa près d'une cheminée inconnue. Elle poussa un long soupir, serra les dents pour retenir ses larmes et se perdit dans la contemplation du ciel.
Elle ne voulait pas partir d'ici. L'adolescente s'y sentait chez elle. Elle s'y trouvait bien, malgré le contexte. Elle remonta ses jambes contre elle et posa son menton sur ses genoux. Ça ne pouvait pas être simple. La vie, elle s'en rendait compte, n'était pas simple.
Naola se remémora les paroles de Mordret. Le nombre incalculable de choses qu'elle avait classées comme « pas ses affaires » ces derniers mois. Seuls les enfants pensaient qu'en se cachant les yeux les problèmes cessaient d'exister. Est-ce que c'était ça, le choix ? Rester une enfant et rentrer chez elle, ou grandir et assumer ses choix... comme une adulte ?
Elle n'était plus une enfant.
Si Mordret affirmait qu'elle avait sa part de responsabilité dans ses combines... Si les mécamages estimaient qu'elle avait contribué à la tragédie, alors ce devait être vrai. Ne serait-ce que par négligence. Ne serait-ce que parce qu'elle avait fait mine d'ignorer l'évidence : les activités du Mordret's Pub étaient répréhensibles.
Naola déglutit doucement. Elle savait ce qu'elle devait faire, mais cela l'effrayait. Elle n'avancerait jamais en se cachant dans les jupes de sa mère — si tant est que sa mère accepte encore de l'y cacher. L'éventualité que ce ne soit pas le cas lui serra la gorge d'une violente bouffée d'angoisse.
Au bout d'un long moment, l'adolescente se releva, transie de froid. Sa décision était prise : ses parents ne voulant plus d'elle, elle devait se montrer à la hauteur de son indépendance, et cela commençait par assumer ses responsabilités. Si son patron avait l'impartialité de ceux qui n'ont aucune conscience, elle aurait de la conscience pour eux deux.
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Bienvenue au Mordret's Pub - Tome 1
VampireQuels lâches ! Jamais Naola n'aurait pu imaginer que ses parents puissent agir ainsi. Elle ne peut plus rester avec eux. Elle ne peut plus leur faire confiance. Pas après ce qu'il s'est passé, pas après ce qu'ils ont fait.Déçue mais déterminée, la j...