- Petrichor -

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     « UN PAR UN, PIÈCES PAR PIÈCES, NUITS APRÈS NUITS. J'apprends et j'explore celle que je deviens. »

Ses derniers mots prononcés dans le noir, sous la pluie alors que nous venions d'échanger ce qui avait été notre dernier baiser. Joyce était un ouragan. Fascinante et indomptable, et tout ce qui est fascinant, est sauvage et libre. Elle avait toujours était proche tout en étant inaccessible. Et depuis qu'elle avait retrouvé sa liberté, depuis sa disparition, tous les souvenirs que j'avais d'elle s'embrouillaient dans ma tête, se dissipant. Si bien que je doutais que tous nos moments aient été réels, se soient vraiment passé. Mais lorsque je me focalisais sur ces morceaux de moments, je pouvais encore entendre sa voix susurrer des mots à mon oreille. Je pouvais encore visualiser la première fois où je l'avais vue. Et dès lors, je parvenais à me convaincre qu'elle était réelle.

Je ne crois en rien et je ne ressens pas le besoin de me questionner sur le pourquoi du comment. Les gens entrent dans ta vie et en ressortent parfois ou bien restent à jamais. C'est la vie. Il faut lui sourire pour qu'elle te sourît. C'est ce que je me répète souvent. Avec Joyce c'est différent. Je ne peux m'empêcher de me questionner. De remettre tout en question. Des « Et si...? » s'enchaînent dans ma tête. J'explore des pistes, revisite des scènes, les modifie légèrement ou entièrement, en imagine les conséquences, calcule les répercussions de mes actes et des siens. Néanmoins, j'oublie une chose essentielle, encore plus que le fait qu'on ne peut pas prévoir la réaction des autres qui nous entourent, seulement les nôtres : le fait qu'on ne peut pas réécrire l'histoire.

Ça n'empêche pas que parfois, je rejoue la scène de notre rencontre dans ma tête et que je m'imagine à nouveau dans ce café à boire mon cappuccino au bar et, à répondre au sms de Wyatt qui me demande, si je compte sécher les cours de l'après-midi, pour aller au centre sportif avec lui, là où sa nouvelle conquête donne des cours de yoga. Je donne un coup à Glenn qui tente de dérober une part de muffin au chocolat lorsque j'entends « Quel temps pourri ! ». C'est non seulement la réflexion – il fait étouffant dehors – mais aussi le grain de voix qui me fait tourner la tête sur la fille qui vient de rentrer dans le café. Son timbre est spécial, avec un accent du nord. J'aperçois alors, d'abord un tatouage sur l'avant-bras. Je remarque que sa peau est basanée. Mais dans ma tête ça s'arrête là. Je ne prête pas plus attention à la fille. Je ne passe pas mon temps à observer la fille. Je ne dis pas à Glenn « Regarde un peu cette nana. » et donc, il ne joue pas au Cupidon en allant donner mon numéro à cette inconnue, qui me captive, alors que je viens tout juste de la voir pour la première fois de mon existence. Pas de regard en biais étrange. Pas de moment gênant. Nan, j'invite Glenn à quitter le café pour rejoindre le campus. Et je ne jette même pas un regard en arrière, en sortant. Et ainsi à la prochaine soirée, n'ayant jamais abordée cette fille, je ne lui propose pas une bière, pour m'expliquer du pourquoi mon pote débile lui a filé mon numéro. Dans ma tête, je ne tombe pas amoureux. Dans ma tête, je ne me fais pas briser le cœur.

Les choses en vraies se sont passé bien différemment. J'ai contemplé la fille pendant longtemps, suffisamment pour qu'elle remarque que je la fixais tel un sociopathe ou un attardé mental – à voir. Elle exerçait sur moi une certaine attraction que je ne pouvais m'expliquer. Son regard sombre et déterminé m'envoutait. Le piercing à son nez présumait une certaine force de caractère. Et son tatouage m'intriguait. Glenn a fini pas remarquer mon numéro, et je lui ai balancé cette phrase à la con. Comme un imbécile, il s'est entiché d'aller lui filer mon numéro. Je crois que je n'ai jamais été aussi gêné de toute ma vie. La fille s'est contentée de me regarder étrangement et d'hausser ses sourcils. J'ai trainé Glenn vers la sortie pour fuir au plus vite. Je ne l'ai revue que deux semaines plus tard.

Et ce n'est encore bien plus tard, que j'ai compris pourquoi elle avait balancé cette remarque sur le temps. Joyce n'aimait ni le soleil ni la neige. Elle aimait la pluie, et plus particulièrement l'odeur de la terre, lorsqu'il vient de pleuvoir.

Inexplicable AnatomieOù les histoires vivent. Découvrez maintenant