Chapitre 2

2K 158 14
                                    

Je roule en direction de la sortie nord de la ville. Il me faut de l'air. Il me faut des réponses. Je roule vers la maison de campagne familiale. Mes paumes me brûlent, mes doigts sont enroulés autour du volant, mes yeux rivés sur la route et les panneaux lumineux défilant autour de moi. Mes pensées sont tournées vers ma destination, et sur l'avertisseur qui m'indique la présence de radars ou de complications routières. Une question tourne en boucle dans mon esprit, comment cela se fait-il que personne ne m'est mis au courant des problèmes mentaux et comportements de mon père. Ni ma mère, ni mon père ne m'en a parlé...Et pourtant...et pourtant...je me dis que...peut-être, si je n'avais pas été en froid durant les six derniers mois de la vie de mon père, il m'en aurait peut-être parlé. Et que si je ne m'étais pas renfermée dans ma peine et dans le deuil après sa mort, je ne me saurais pas autant éloignée de ma mère, elle m'aurait peut-être informée... Malheureusement, la vie et son hasard me l'avaient volée quelques semaines après l'enterrement de mon père. Cela fait plus d'un an qu'elle a disparu, les recherches ont cessé et mes espoirs se sont envolés.

La voiture devant moi ralentit, le bruit de carrosserie qui se frotte me sort de ma torpeur. Je freine, et en doublant, j'ouvre ma fenêtre et m'excuse auprès du chauffeur de la voiture déjà en mauvais état. Je remonte ma vitre et appuis sur l'accélérateur. Si j'ai dit à Emma de m'appeler si elle a besoin de moi, c'est qu'elle sait que je ne serai pas « apte » à répondre à ses SMS, que je serai occupée. Elle sait pertinemment que quand je lui demande de ne pas m'envoyer de messages, c'est que j'ai besoin d'être seule. Et car elle déteste téléphoner, elle ne le fera qu'en cas extrême urgence.

D'habitude, Emma joue le rôle de la psychologue, ou de l'amie, je lui raconte mes problèmes et elle me conseille. Mais je n'avais pas extrêmement envie d'étaler ma vie devant Shipman.

Je me gare sur les parkings d'une station-service. J'ai besoin de prendre l'air, ça fait plus de trois heures que je roule, je ne devais m'absenter qu'une heure, pour faire un tour, mais j'avais changé d'avis au dernier moment.

A côté de moi, une voiture familiale vient que s'arrêter. Toute une tribu de gamins d'âges allant de cinq à douze ans maximum commence à descendre et appeler leur mère assise à l'avant. En voyant cette famille, cette maman et sa progéniture, ce père bedonnant et à l'air fatigué par son travail surement épuisant, je me rends compte que je ne connaitrais jamais cela. Et que je n'ai jamais connu cela. Les départs en vacances, car je n'avais pas de vacances avec mes parents, les disputes avec un frère ou une sœur pour savoir qui mangerai la dernière chips, car je n'avais si frère, ni sœur, ni cousin, ni copain...

Je commence sérieusement à détester ma vie, plus le temps passe, plus je me demande comment je vais finir...Si je connaîtrai le sentiment d'appartenir à un groupe, à une famille un jour. Ou si personne ne voudra jamais que je fasse partie de leur vie. Il faut dire aussi que ma situation professionnelle et mon caractère de merde n'arrangent pas les choses.

Et il faut se rendre à l'évidence, je ne suis pas sociable. En exemple, pas plus tard de cette après-midi avec le groupe de gars au stand de tirs, j'ai été agressive et pas très retenue dans mes propos...ni dans mes gestes.

Le départ de la voiture qui venait de se garer il y a cinq minutes me fait réagir, toute la petite famille a eu le temps de s'activer, de refaire le plein et d'acheter des cochonneries pour les gosses et moi, je me lamente sur mon sort, depuis dix minutes. Je me mets une claque intérieurement, il faut que je me ressaisisse. Je ne peux pas m'apitoyer sur mon sort de cette manière, je suis une tueuse, je maitrise tous les arts martiaux, je sais utiliser les armes les plus invraisemblables et pourtant je pleurniche comme une fillette de quatre ans qui a perdu son Doudou. Voilà ce que je suis, une gamine de quatre ans à qui ont à volé son enfance pour la transformer en machine de guerre capable de tuer de sang-froid et de scalper quelqu'un avec le rebord d'une feuille (en théorie, c'est possible).

Je remonte dans ma voiture et reprends la route direction le sud du pays. Je roule, je roule, comme une folle. Je ne ralentis pas, me faisant flasher plusieurs fois. Je doute que la police ne me retrouve, avec une fausse plaque, cela doit être compliqué.

La nuit est tombée depuis un bon moment et les routes sont désertes, pour mon plus grand bonheur. Je n'aime pas rouler le jour et je n'aime pas conduire quand les routes sont occupées par des papis pressés ou des jeunes ayant deux semaines de permis seulement. Quand j'arrive sur les terres ayant appartenues à mes grands-parents, le jour pointe son nez. Des cernes bleus accompagnent ma pigmentation de peau déjà blanche. Je dois ressembler à un zombie. Pourtant les courbatures accumulées pendant le trajet et les heures de sommeil sautées s'envolent quand je me laisse subjuguer par le paysage qui s'offre à moi. Des prés et des parcelles de forêt vertes, le vent agitant doucement des branches des arbres aux alentours et animaux se réveillant à peine me coupe le souffle à chaque fois que je viens ici. Ce paysage m'apaise. Il m'arrive souvent de faire un aller-retour juste pour quelques heures d'observation. Je m'assieds dans l'herbe et ferme les yeux.

Je reste immobile jusqu'à ce que le soleil soit complètement visible de là où je me situe. Puis je me lève, faisant craquer mes articulations et remonte dans ma voiture. Je suis vidée et fatiguée, je me reposerai ce soir, pour l'instant, je dois faire disparaitre les mille kilomètres de distance qui me sépare de mon lit.

Une minute pour te tuerOù les histoires vivent. Découvrez maintenant