Les amours croches

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Ceux qui sont aussi croches que le plan de tomates que tu t'entêtes à faire pousser avec un tuteur, sachant très bien qu'il ne deviendra jamais droit. Pour la seule et unique raison qu'il ne l'a jamais été, droit. Il a été planté croche et a poussé encore plus croche. T'auras beau le gaver d'engrais, rien de fertile va sortir de ces racines-là.

L'amour croche, c'était l'histoire de ma vie. La fleur qui réussissait à pousser à travers la craque de ciment, c'était moi aussi. Puis je sais que ça peut être toi aussi. Et c'est pour ça que t'essaies toujours de chercher quelqu'un avec qui planter un jardin au milieu du béton. Même si y'a pas de terre. Un jardin de roses. Même si seules les tiges pleines d'épines réussissent à pousser. Même si la fleur, elle ne sort jamais.

Des raisons, il y en a un million. Plus souvent qu'autrement, c't'une histoire de père, tu sais. Absent ou trop présent. Trop présent de la mauvaise façon. Une histoire de vie qui a été brisée y'a ben longtemps, mais pas assez longtemps pour que t'aies pu te réparer. La vie ne sera jamais assez longue pour ça. Jusqu'à temps que tu rencontres celui qui va recoller tous tes morceaux en te regardant. En te disant qu'il ne te laissera jamais tomber (je t'aime).

Ça peut être long. Tellement long que le pattern devient une normalité, une habitude. T'es toujours attirée envers les personnes encore plus brisées que toi. T'as l'impression qu'en essayant de les ressouder, ça te ressoude un peu toi aussi. Mais non. Parce que ces gens-là font juste prendre les cent morceaux de ton casse-tête et les transforment en mille morceaux. Ils transforment ton casse-tête en casse-cœur et en plus, il est maintenant en 3D. Tu galères à la seule idée de devoir former le contour. Alors imagine l'intérieur. C'est encore plus difficile qu'avant. Les pièces ne
s'emboîtent jamais comme il faut, ça tombe, c'est toujours à recommencer. Tu te tannes, tu le mets dans le coin de ta chambre et tu te dis Plus tard.

Ces situations-là, je les ai vécues. Non sans gêne et sans questionnements. Pourquoi?J'aimais ça? Non. Je ne voulais juste pas l'abandonner. Je ne voulais pas être comme les autres. Je voulais qu'avec moi ça fonctionne. Je voulais qu'on soit plus forts que le passé. Parce que je me demandais si c'était si grave que ça. Parce que j'avais déjà entendu des histoires bien pires que celle-là. Parce que je voulais le sauver. Même si j'étais en train de me noyer à force de nager pour deux. Même s'il me poussait toujours dans des vagues plus grandes que moi au lieu de m'aider à atteindre le bord de la rive.

On ne veut pas s'en rendre compte. On se dit que c'est passager, que c'est isolé. Jusqu'au moment où l'isolation sorte de la chambre et contamine, affecte et infecte tout le reste. Parce que dès la première fois, il est déjà trop tard. Même si les beaux moments le sont plus que le mot lui-même. Même si t'as jamais l'impression de te sentir aussi bien que le moment où tes yeux plongent dans les siens pendant les pauses commercial de vos émissions télé. Parce que dans ces moments-là, l'émission n'existe plus non plus. Même la voix de ta conscience disparaît. Rien n'existe à part toi et lui. T'as vraiment l'impression d'être amoureuse et encore une fois, tu ne réussies pas à te rappeler à quel point il a pu te blesser. La seule chose que tu sais, c'est qu'il l'a fait. Mais la douleur du pincement, tu ne t'en souviens plus. Jusqu'à la prochaine fois.

Jusqu'aux prochaines cinq minutes. Car avec ces personnes-là, tu ne sais jamais quand la grenade va exploser. Et parfois, la bombe saute pour vrai. Tasse-toi de là pendant qu'il est encore temps.

Tu te demandes si t'es faible, si t'es lâche. T'en viens même à te demander si t'es sado-maso alors qu'en fait, t'es juste une fille qui vit d'espoir. Qui le voit partout, le peut-être que. Naïve, mais pas conne. T'es juste quelqu'un qui a une (trop) grande capacité à voir le bon chez les autres, même quand eux ne le voient pas. Même quand ils ne veulent pas conjuguer le leur au tien. Alors même si l'autre n'est pas foncièrement gentil, tu te dis qu'il n'est pas foncièrement méchant et que l'amour arrange toujours tout.

Mais l'amour est loin de tout arranger dans
ces cas-là. T'as beau te planter les mains dans la terre, tu ne pourras jamais aller assez creux pour régler la source du problème. Pour découvrir qu'à la base, un millier de fourmis rongent ce que t'essaies de faire pousser.

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