Chapitre 1

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Le ciel était inondé d'étoiles. La lune brillait sur l'infini rideau noir, nimbant la surface du lac de minuscules filets d'argent. Le vent soufflait doucement, faisant danser les arbres dont les feuilles embrassaient les nuages. Le monde était calme, figé dans sa magie.

Abel soupira de bonheur en contemplant le paysage noirci par l'obscurité. Il venait souvent près de ce lac pour méditer et tenter d'échapper aux sombres pensées qui hantaient son esprit. La beauté de la nature l'apaisait.

-Abel...Tu es venu.

Abel sursauta en reconnaissant la voix qui venait de lui parler. Il n'avait nulle envie de le revoir. Il n'était pas prêt à briser ce moment magique pour sa seule présence.

-Abel ?

Non, il ne répondrait pas. Il devait se montrer fort. Montrer que rien ne pouvait l'atteindre.

-Abel !

Son cri le fit trembler.

Fort. Il devait se montrer fort. Mais lorsque les mains de l'homme se posèrent sur ses épaules pour le secouer, il n'était plus si sûr d'y parvenir.

-Abel !

Abel ouvrit un œil. C'était un rêve. Le même que toutes les nuits. Et les mains qui le secouaient n'étaient autres que celles de son frère jumeau. Il referma aussitôt les yeux. Quelle que soit l'heure, il était beaucoup trop tôt pour qu'il parvienne à émerger.

-Abel ! Dépêche-toi, on va être en retard !

Il grommela un mot incompréhensible et se retourna contre le mur. Non, il ne bougerait pas. Mais il sentit soudain deux mains puissantes le secouer violemment.

-Abel ! Lève-toi !

-C'est bon, Arnaud, j'avais entendu !s'exclama Abel en repoussant son frère.

-Alors, obéis, s'il-te-plaît !

Le "s'il-te-plaît" n'allait pas avec l'impératif. Abel grogna et se redressa à contrecœur. Depuis la mort de leur mère, leur père travaillait la nuit et dormait le jour, si bien que les jumeaux ne le voyaient jamais. C'était comme s'ils n'existaient pas à ses yeux. Si Arnaud s'était fait à l'idée, Abel, en revanche, avait du mal à l'accepter. Il s'était toujours senti proche de ses parents et les perdre tous les deux ne lui plaisait pas.

-Habille-toi, on va vraiment être en retard !

Depuis ce jour, Arnaud jouait le rôle du grand frère, ce qui avait pour seule conséquence d'énerver profondément Abel. Ils ne cessaient de se chamailler à ce sujet, Arnaud prétendant qu'il "fallait bien que quelqu'un ait le rôle du chef dans cette maison" ; Abel refusant de se soumettre à l'autorité de son jumeau. Et ce jeu durait depuis trop longtemps...

Abel s'habilla et descendit rejoindre son frère à la cuisine. Le thé était servi, les tartines étaient dans le grille-pain, le beurre et le miel étaient sur la table.

-Depuis quelle heure es-tu levé ?soupira Abel.

-Depuis une heure. Dépêche-toi de déjeuner.

Abel se retint de soupirer à nouveau et déjeuna en silence. Ils préparèrent leurs affaires et se mirent en route.

Le lycée était à environ dix minutes de marche depuis leur maison. Les jumeaux marchèrent en silence. Abel repensait à son rêve. Ou plutôt son cauchemar. Car il s'agissait bel et bien d'un cauchemar, même si la nature magique et apaisée laissait penser le contraire. Cet homme qui lui parlait, qui le secouait... Sans savoir qui il était, Abel sentait au plus profond de lui-même qu'il ne lui voulait que du mal.

-Abel ?

Abel sursauta et remarqua soudain que son frère s'était arrêté. Il se retourna.

-Oui ?

Il vit Arnaud froncer les sourcils.

-Tu as encore fait ton cauchemar, n'est-ce pas ?

Abel serra les dents. Comment son jumeau avait-il deviné ? Il le vit s'approcher de lui, comme s'il avait lu dans ses pensées.

-Tu n'as pas besoin de me le dire, tu sais. Tu ne me parles pas et tu as un air sombre. Je n'ai pas besoin de lire dans tes pensées pour me rendre compte que quelque chose ne va pas et, comme tu fais souvent ce cauchemar...

-C'est bon !grommela Abel. Oui, j'ai encore fait ce cauchemar que je ne comprends toujours pas. La discussion est close.

Il détestait parler de cela avec son frère. Il avait l'impression d'être encore plus faible qu'il ne l'était déjà.

-D'accord, murmura Arnaud.

Ils restèrent silencieux jusqu'au lycée.


Abel et NinoOù les histoires vivent. Découvrez maintenant