Il portait un veston en laine, vert amande, tissé d'un petit chevron, s'ouvrant sur une chemise vert foncé, genre chemise de chasseur et une cravate dont le dessin aux couleurs d'automne, faisait penser à des grappes de raisins. Il portait aussi, sur le bout du nez, des petites lunettes cerclées, demi-foyer, celles dont on n'a besoin que pour lire.
Parfois, il jetait un regard scrutateur par-dessus, ce qui lui conférait un air de vieux professeur en train d'observer sa classe. Il avait le regard profond, surplombé d'une paire de sourcils fournis aux longs poils qui lui tombaient sur les yeux et quand ils croisaient les miens, j'avais l'impression qu'il voyait jusqu'au fond de mon âme.
Son comportement m'intriguait. Il avait étalé, devant lui, un tas de feuilles blanches sur lesquelles il griffonnait de temps à autre rapidement quelques notes, se plongeait dans un livre sur lequel il portait des annotations en bordure de pages, reprenait ses notes et ainsi de suite. Parfois, il sortait un vieux petit cahier de sa poche intérieure, le consultait comme s'il devait s'en cacher en jetant un regard circulaire, le refermait rapidement et le rangeait de nouveau dans sa veste. Ce cirque durait déjà depuis quelque temps et nourrissait ma curiosité aussi bien que mes phantasmes.
Ce n'était pas la première fois que je le voyais assis dans ce café en train d'écrire. Il s'asseyait toujours à la même place, commandait un "italien" et un verre d'eau, prenait dans sa poche gauche un petit carré de chocolat noir, se le mettait sur la langue et sirotait son café religieusement.
Après un instant, il faisait claquer sa langue les yeux fermés, sortait un mouchoir blanc de l'autre poche, s'essuyait les lèvres, rangeait son mouchoir et étalait ses feuilles sur la table. Un rituel apparemment immuable.
Je consultai ma montre. Il était quatre heures de l'après-midi. J'avais du temps avant de retrouver mes amis et je me demandai si j'allais reprendre un thé ou si j'allais flâner dans les rues du quartier. Un coup d'œil à l'extérieur m'indiqua qu'il serait plus agréable de reprendre une autre tasse de ce breuvage si prisé des Anglais.
A cet instant, l'homme à la barbe fit tomber ses feuilles et je me précipitai pour l'aider à les ramasser, profitant de l'occasion pour lui poser la question qui me brûlait les lèvres depuis tant de temps:
-"Dites, vous écrivez un livre?" Le son de ma voix me surprit. Je me sentis un peu bête. Il me remercia de mon aide, me regarda un instant droit dans les yeux et, après un court silence, penché sur sa table, encore à moitié debout, me dit d'un ton amusé:
-"Cela vous intéresse-t-il?"
-"Oui!" bredouillai-je, "Cela fait un moment que je vous observe et je me demandais ce que vous pouviez bien écrire de si mystérieux."
-"Comment savez-vous que ce que j'écris est mystérieux?" dit-il en se rasseyant.
-"A votre façon de cacher votre petit cahier." Il me scruta de nouveau du regard. "Oui, ce petit cahier que vous avez dans la poche de votre veste." insistai-je.
Il sortit son petit carnet de son veston, me le montra et me demanda d'une voix chuchotante:
-"C'est celui-là?" Je hochai la tête. Ce petit calepin avait une couverture cartonnée, noire, mouchetée de points blancs et rouges, ce qui lui conférait un aspect usé mais, il n'était apparemment pas plus vieux que ne l'était la journée.
L'homme balança doucement sous mes yeux, ce que j'identifiais maintenant comme un agenda, et, subitement, le fit disparaître aussi vite qu'il l'avait fait surgir de sa poche.
De quoi je me mêle, pensai-je. Il me tapota l'épaule comme s'il avait lu dans mon esprit et me dit sur un ton rassurant:
-"Ce n'est rien. Asseyez-vous, je vous prie."
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Le Mat
SpiritualChapitre I La Grande Maison Il y avait des jours comme ça. Des jours où je n'avais rien à faire d'autre que « glander » dans la ville et tuer le temps. Je me trouvais dans un café parisien. La vitrine de la véranda faisait face au jardin du Luxembou...