Je reçus un coup de fil de Monsieur Pierre-qui-roule-n'amasse-pasmousse. Il me dit qu'il avait besoin de moi pour quelques jours et me demanda si je pouvais me libérer. Le questionnant sur la raison, il me répondit qu'il ne pouvait en parler au téléphone, mais que la chose était de la plus haute importance pour lui et qu'il me donnerait toutes les explications nécessaires à mon arrivée. Je m'arrangeai pour me rendre disponible une dizaine de jours, au cas où.
A mon arrivée à la maison de Vincennes, il nous précipita dans le jardin d'hiver et me déclara qu'il appréciait énormément mon geste, qu'il devait s'absenter quelques jours et que sa servante ne pouvait rester seule dans la maison car il craignait pour sa sécurité.
-"Je suis désolé de vous demander ce service et je vous avais promis des éclaircissements, mais je suis dans l'impossibilité de vous en donner, le temps me manque. Voyez-vous, mes valises sont déjà faites et j'attends un taxi." A cet instant, on sonna à la porte.
"Ce doit être mon chauffeur. Voici les clés. Je vous confie la maison et la vie de ma servante. J'ai pourvu à tous vos besoins pour les jours à venir. Vous pouvez sortir, mais je serais plus rassuré si vous pouviez vous en abstenir, si possible." Je le rassurai et lui promis que je ne m'éloignerais pas de sa servante, que je la garderais comme les bijoux de la couronne et qu'il pouvait compter sur moi.
Il me remercia chaleureusement, prit ses bagages, son manteau qu'il posa sur l'épaule gauche, mit un chapeau mou et, après avoir regardé un instant droit dans mes yeux, comme s'il cherchait à vérifier si son choix de me faire confiance était justifié, me serra l'avant-bras et, sans autres mots, quitta la maison.
Je restai sur le pas de la porte, les clés à la main et le regardai s'engouffrer dans le taxi. Une fois assis, il me fit un signe de la main en fermant la portière. Il avait l'air soucieux.
Quand la voiture tourna au coin de la rue, je me rendis compte de l'irrationnel de la situation. J'ignorai où il allait, pour combien de temps, quel danger guettait sa servante et, par conséquent, me guettait moi, ce que j'étais capable de faire pour nous protéger et, surtout, où se trouvait sa servante. Je partais du principe qu'elle devait nécessairement se trouver dans la maison, mais, tout compte fait, je n'en savais rien.
Dehors, il s'était mis à pleuvoir. Une bruine fine créait un halo autour des réverbères allumés. Il était dix heures du soir, je me tenais toujours sur le perron de la maison et fixai ce décor qui, du coup, me paraissait de plus en plus lugubre, une atmosphère hitchcockienne. Je réussis, néanmoins, à m'arracher un sourire, fis deux pas en arrière et fermai la porte.
M'absorbant totalement dans mes pensées, je me retournai et fis un bond en arrière, heurtant violemment la porte du dos et me cognant brutalement la tête. Je faillis tourner de l'œil sous le choc.
-"Je suis désolée, sincèrement désolée." fit-elle. Je réalisai que c'était la première fois que je l'entendais prononcer une parole en ma présence et, reconnaissant la voix, identifiai sans doute possible la femme m'ayant répondu au téléphone quelques semaines auparavant, lors de ma première visite dans cette demeure. Voilà au moins un mystère résolu.
Je me frottai l'arrière du crâne et fis une grimace en guise de sourire.
-"Ce n'est rien. Je ne vous avais pas entendue venir." Là aussi, je réalisai que je ne l'avais jamais entendue se déplacer et je regardai ses pieds pour vérifier qu'ils posaient bien parterre.
-"Vous avez faim?" me demanda-t-elle d'une voix implorant le pardon. "Je vous ai préparé quelque chose à la cuisine. Après, je vous montrerai la maison, votre chambre et votre salle de bain." Un vrai
déluge de paroles. Je la suivis dans la cuisine.
Un parfum appétissant de soupe aux légumes s'échappait d'une marmite posée sur le feu. Un couvert m'attendait. Sur la table, un plateau de fromages, du pain mi-seigle, une salade verte. A côté de mon assiette, sur laquelle était posé un bol, une petite jatte remplie de crème épaisse, du sel, du poivre, des herbes fraîches, une gousse d'ail finement hachée et une carafe d'eau fraîche, mais non glacée.
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Le Mat
SpiritualChapitre I La Grande Maison Il y avait des jours comme ça. Des jours où je n'avais rien à faire d'autre que « glander » dans la ville et tuer le temps. Je me trouvais dans un café parisien. La vitrine de la véranda faisait face au jardin du Luxembou...