Sur le chemin du retour à la civilisation, je presse Pax de faire une halte dans une grande ville pour déjeuner. Il accepte avec grâce et majesté, mais me laisse payer la note.
-"Dites, Pax, qu'est-ce qui vous a conduit à vouloir m'enseigner, à moi, pauvre ver de terre, le Tarot et m'initier à la Matrice?" je lui demande, quand nous sommes arrivés au café. Ma question semblait surgir de nulle part et, à entendre ma propre voix la poser, me surprend. Je ne sais même pas ce qui me la fait poser. Pax paraît moins surpris que moi.
-"Il y a déjà quelque temps que je m'attends à ce que vous me posiez cette question." Il me regarde à nouveau avec cette curieuse expression et lumière dans ses yeux et qui me rendent toujours mal à l'aise, même après tant de temps passé en sa compagnie. "J'ai pris un certain temps pour vous observer avant de vous amener à entrer en contact avec moi, et votre comportement, ainsi que votre façon à vous, d'observer les gens, laissait supposer une curiosité sans limites. Ingrédient indispensable pour qui cherche le pouvoir."
-"Mais, je n'ai jamais cherché le pouvoir!" Je proteste avec une véhémence inhabituelle. Comment pouvait-il affirmer une telle absurdité?
-"Mais si, mais si, "insiste-t-il, "vous cherchez le pouvoir. Oh non! Pas celui sur autrui, mais vous cherchez bien le pouvoir sur vous. Vous l'avez toujours recherché, sans même savoir de quelle nature était votre quête, ni votre être. D'ailleurs, c'est ce qui explique vos assauts subits de violence." Je veux protester à nouveau, mais il m'intime le silence avec un léger dodelinement de la tête, accompagné d'un regard à vous faire froid dans le dos. En même temps, il émet un son étrange, entre un sifflement aigu entre les dents et un râle au fond de la gorge, jusqu'à ce que je cesse de manifester ma contestation.
"Ne perdez pas toujours votre énergie dans de futiles protestations quand il s'agit de prendre conscience de vous. Racontez-moi plutôt votre version de votre temps passé avec Enrique. Cela rendra notre voyage plus intéressant pour moi."
Son sifflement avait produit sur moi un effet étrange. A chaque fois que je cherche à manifester mon désaccord en râlant, je n'arrive pas à parler. De retour dans la voiture, l'effet se dissipe et je m'exécute, ce qui prend beaucoup de temps et me permet de remplir les heures de conduite jusqu'à l'hacienda où nous faisons halte pour la nuit. Il n'y a personne d'autres qu'un gardien et nous préparons seuls notre repas du soir. Nous ne prenons pas le temps de discuter, préférant à cela une bonne nuit de sommeil. Demain, une longue journée de route nous attend.
Arrivés à Paris, nous sommes accueillis par Tigmi, comme à l'accoutumée. Prévenue par téléphone de l'heure approximative et tardive de notre retour, elle nous a préparés un souper léger et nous nous sommes retirés rapidement dans nos quartiers, une fois restaurés.
Après quelques jours de réadaptation à la vie normale, je ressens le désir de poursuivre mes recherches sur le Tarot et en fais part à Pax.
-"Je suis désolé de ne pas pouvoir satisfaire votre curiosité, je dois m'absenter quelque temps." Je me sens inconsolable. Voyant mon désarroi, il ajoute:
"Tigmi s'en chargera. Elle en sait autant que moi sur le Tarot. Et vous vous entendez bien, n'est-ce pas? Cela devrait vous faire plaisir de vous retrouver quelque temps en compagnie de Tigmi. Vous verrez, elle prendra bien soin de vous et de votre esprit," il me regarde et ajoute, "qui en a bien besoin." J'en conviens, avec une certaine réticence, pourtant.
Je tourne comme un lion en cage et n'ose pas demander à Tigmi de m'enseigner. Ce cirque dure déjà depuis quelques jours. De temps à autre je surprends un regard interrogateur et, parfois, une expression d'agacement.
-"Quelles sont vos relations avec votre mère?" me demande-t-elle à brûle-pourpoint un matin où mon comportement l'agace particulièrement.
-"Elle est morte." dis-je sur un ton maussade. Sans se perdre dans des excuses ou dans une fausse culpabilité qu'affichent souvent les gens quand ils apprennent la mort d'un membre de la famille, membre qu'ils n'ont jamais rencontré, elle poursuit son investigation:
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Le Mat
SpiritualChapitre I La Grande Maison Il y avait des jours comme ça. Des jours où je n'avais rien à faire d'autre que « glander » dans la ville et tuer le temps. Je me trouvais dans un café parisien. La vitrine de la véranda faisait face au jardin du Luxembou...