L'Ermite VIIII

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   Je regarde mon visage dans le miroir que j'ai accroché dans la pièce des toilettes qui me sert aussi de salle d'eau. Les yeux enfoncés, le teint pâle et jaunâtre, les joues creuses. J'ai maigri. Une lampe à pétrole diffuse une lumière blafarde, renvoyée par les murs laqués blanc, jaunis, ce qui donne à mon visage cet aspect cadavérique.

Pax m'avait un jour conseillé de faire une retraite. Vu ma prédisposition à l'auto-indulgence et à la violence, il m'avait suggéré quarante jours d'isolement dans un monastère. Il me disait qu'il croyait indispensable pour moi que je fasse la connaissance de mon moi supérieur, mais que cela ne me serait possible qu'à condition que je débranche ma machine à produire des mots.

Comme mon esprit se meut lentement, quand il s'agit de sa propre évolution, un certain laps de temps s'était écoulé entre le moment où je reçus le conseil de Pax et le jour où il m'était apparu qu'il avait raison.

Mais, dès cet instant, je n'avais cessé d'y penser. J'avais tôt fait d'entreprendre les démarches nécessaires en prenant rendez-vous avec une Mère supérieure d'un couvent de Bénédictines à Figeac qui m'avait été recommandé par une amie. Elle y avait séjourné et m'avait confié que, malgré la lourdeur de l'atmosphère ambiante et le pesant historique du lieu, elle avait pu tirer le meilleur de sa retraite.

La Mère supérieure m'avait accordé un rendez-vous qu'elle-même croyait indispensable avant que je n'entame ma retraite. Lorsqu'elle me reçut dans son bureau, elle réagit à mon entrée avec un mouvement de recul, de surprise et d'hésitation. Comme si elle s'était attendue à voir quelqu'un d'autre. Je lui en fis la remarque.

-"Mon enfant," me dit-elle, "il est vrai que je ne m'attendais pas à recevoir un personnage tel que vous. Votre lettre, et la personne de laquelle vous vous recommandiez, m'ont fait imaginer une autre énergie. Vous devez comprendre, nous n'avons pas l'habitude de recevoir des gens comme vous."

Sa remarque me surprit. Je ne me perçois pas comme un être différent des autres, et rien dans mon apparence ne me distingue du reste de l'humanité. Je n'ai rien d'un monstre non plus. A ma demande si cela remettait en question ma retraite dans son monastère, elle me répondit que oui, que ses sœurs n'allaient pas s'habituer à ma présence. D'autant plus que je n'allais pas assister aux prières et aux offices, attitude que ses sœurs ne pouvaient concevoir et d'ailleurs, même si j'en avais exprimé le désir, cela n'aurait été possible. J'avais confié ma déception à Pax, qui m'assura qu'il allait trouver une solution.

Quelques semaines plus tard, au printemps, je m'installais dans une pièce sombre et exiguë au premier étage d'une tour carrée, surmontant le mur d'enceinte de la kasbah que Pax avait dénichée dans le sud du Maroc par l'intermédiaire d'un ami. Il avait aussi insisté pour m'accompagner. Nous avions pris un vol au départ d'Orly Sud pour Agadir, où nous attendait son ami Ahmed, un Berbère de la tribu des Chleuh, propriétaire de cette ferme traditionnelle construite dans les collines de l'arrière-pays d'une petite ville côtière près d'Ifni. Elle se trouvait au sommet d'une colline, totalement isolée, à trois kilomètres de piste de la ville. Construite en pisé, couleur Terre de Sienne brûlée, elle possédait un mur d'enceinte de trois mètres de haut, qui fermait deux cours intérieures. L'une donnant sur les étables, l'autre, carrée, donnant sur quatre pièces, dont les cuisines et les toilettes. Elle avait ceci de particulier, que son sol était couvert d'une dalle de ciment lisse, en pente vers le centre où, dans un carré de terre noire, se trouvait un bananier, seule plante verte dans l'enceinte, et qu'elle était construite autour d'un puits, une citerne d'environ cinquante mètre cubes, qui assurait la survie aux habitants et leur conférait une totale indépendance. Je pouvais donc toujours me noyer sous une douche froide si jamais la mélancolie des lieux devait avoir raison de moi.

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