La nostalgie qui me remplit depuis des semaines a atteint un seuil insupportable. La mémoire de la maison me hante et le désir d'y retourner me dévore. Seul le savoir qu'il me manque les moyens d'accomplir la fusion, parce que je n'ai pas encore rencontré mon âme sœur, m'empêche de précipiter mon départ. Dit plus simplement, j'ai trop les jetons pour me suicider inutilement. Néanmoins, le désir y est. N'en pouvant plus, je retourne voir Pax, bien qu'il m'ait conseillé de ne le faire que lorsque je serais calme. J'ai trop peur que la tourmente m'emporte.
Lorsque Pax m'accueille sur le seuil de sa maison dans la Creuse et qu'il m'ouvre les bras, je m'effondre et me mets à pleurer.
Il me serre contre lui comme le ferait un père avec son enfant et, tout en me caressant la tête, me chuchote à l'oreille:
-"Du calme, mon petit, du calme. Chuuuut, du calme. Rien au monde n'est suffisamment grave et important pour se mettre dans un état pareil. Pleure, mon petit. Laisse toi aller. Laisse libre cours à tes larmes. Toute l'eau que tu laisses sortir par le haut n'aura pas besoin de sortir par le bas." Sa tendresse et le fait que, pour la première fois depuis notre toute première entrevue, il me tutoie, accentuent encore mes pleurs qui se transforment en sanglots. Mais, ces dernières paroles me forcent aussi à rire. Du coup, suffoquant presque entre sanglots et rires, encore dans les bras de mon maître, la bave et la morve faillent m'étouffer. Toujours avec la même voix pleine de tendresse, il ajoute:
"Et, s'il te plaît, ne te mouche pas dans mon beau costume à dix mille balles." Gentiment, il m'écarte de lui en me tendant un mouchoir de la taille d'un drap de lit.
-"Excusez-moi, Pax." est tout ce que j'arrive à articuler en me mouchant bruyamment. Et bien que j'aie envie de rire, mes larmes ne cessent de couler. Je le précède à l'intérieur et prends place dans un fauteuil. Petit à petit, mes larmes cessent et mes reniflements sont remplacés par de grands soupirs saccadés.
Pax revient de la cuisine avec une boisson chaude et une bouteille de cognac.
-"Je ne savais même pas que vous étiez en possession de ce genre de drogues proscrites." Arrivé-je à balbutier. Il me verse une grande rasade dans un verre à eau qu'il me tend en m'invitant à l'avaler cul sec. A nouveau, les larmes me montent aux yeux, mais plus pour les mêmes raisons. Mon gosier est en feu et j'arrive à peine à formuler:
"C'est bon, mais ce n'est pas du cognac. Qu'est-ce que c'est?"
-"Oh, c'est juste de l'eau de vie à 60°. Soit ça vous tue, soit ça réveille vos instincts de survie. A ce que je vois, tes instincts vont très bien." Il me laisse retrouver mes esprits et éteindre le feu dans l'œsophage avec un café corsé, avant de m'inviter à lui conter mes soucis, déboires et autres états d'âme. Je vide mon sac et mon cœur et il m'écoute religieusement.
A la fin de mon récit, il m'observe tout en réfléchissant. Après un temps de silence prolongé, il s'adresse à moi d'une voix calme et grave:
-"Ce qui t'arrive, nous arrive à tous. Du moins à tous ceux qui sont sur le chemin de la quête de la connaissance.
Je veux dire que, le jour où nous réalisons où est notre vraie maison et quelle est notre vraie famille et que, pas seulement nous avons un jour le droit d'y retourner, mais encore, que nous y sommes attendus, cette compréhension nous submerge comme un raz-de-marée. Surgissent toutes nos perceptions intuitives que, bien que nous vivions nos vies comme des solitaires, nous ne sommes ni isolés, ni abandonnés. En même temps, nous comprenons que le moment si attendu n'est pas encore arrivé. C'est alors que la nostalgie nous envahit et que nous devenons inconsolables, du moins, c'est l'impression que nous avons à cet instant-là. Ceci parce que nous savons que le chemin du retour à la maison est encore encombré d'obstacles et que nous devons travailler dur pour les contourner. Ces obstacles sont constitués par des tâches que nous devons accomplir avant de rentrer à la maison."
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Le Mat
SpiritualChapitre I La Grande Maison Il y avait des jours comme ça. Des jours où je n'avais rien à faire d'autre que « glander » dans la ville et tuer le temps. Je me trouvais dans un café parisien. La vitrine de la véranda faisait face au jardin du Luxembou...