Chapitre onze

256 43 10
                                    

Je me réveille. Allez, encore un jour de survécu, je peux bien le refaire aujourd'hui. Il ne faut pas que je mange aujourd'hui. Je peux et je vais le faire. Je traîne dans mon lit, m'étire, traîne encore au lit, vais à la salle de bain, fais ma toilette, m'habille, retourne à ma chambre, prends mon portable, écris dans mes notes "Rien" dans petit-déjeuner, ronge mes ongles, regarde des Thinspo' sur Tumblr. Toujours la même chose depuis le début des vacances, comme un robot surentraîné. On frappe à ma porte et j'autorise la personne à entrer par un "oui". Ma mère entre lentement et crispée. Elle ne sourit pas, elle semble éteinte. Je sais déjà ce qu'elle va m'annoncer. Ils veulent que je sois dans un endroit spécialisé. J'ai lu ça sur des sites que, parfois, on pouvait être hospitalisé lorsqu'on ne mangeait plus. Ils appellent ça "Anorexie". C'est moche comme mot, je trouve. Ma mère ne dit toujours rien puis vient s'assoir sur mon lit, à côté de moi.

-J'ai quelque chose à te dire et ça va être dur à entendre, ma chérie.

-Si c'est pour que je me fasse hospitaliser ou une autre de ces merdes, ce n'est même pas la peine. je grogne, en serrant les bras.

Elle se met alors à trembler et une larmes coule sur sa joue. Elle peut pleurer tant qu'elle veut, je n'irais pas.

-Noémie est morte.

-J'irais pas de toute façon, je réplique.

-Noémie est morte, ma chérie, la nuit dernière.

-Je t'ai dit que je n'irais pas dans un de ces hôpitaux, articulais-je, en grinçant des dents.

-Chérie, écoute ce que j'ai à te dire.

Elle pleure maintenant et tente de prendre ma main dans la sienne, mais je recule la mienne vivement.

-Noémie n'est plus là.

-Pars.

Ma mère me regarde tristement, mais reste. Je hausse alors la voix et me répète :

-Pars !

Et voyant qu'elle ne bouge toujours pas, je me mets à littéralement hurler :

-Pars ! Pars ! Dégage ! Fous le camp d'ici ! Je ne veux pas de toi ! Tu entends ? ! Pars !

Elle me regarde, l'air le plus triste que je ne lui ai jamais connu et sort de ma chambre. Je prends soin de claquer la porte et m'adosse contre celle-ci, en poussant de fortes respirations. Je regarde en face de moi et mes yeux se mettent à piquer. Puis, j'explose en larmes et je me mets à gueuler. À gueuler de douleur, parce que j'ai mal et qu'elle ne ressentira plus jamais la douleur ni quoi que se soit. Que je l'ai vue hier et qu'elle souriait. Qu'elle ne peut pas être juste "plus là" ou "morte". Je me mets à gueuler plus fort en pensant à ce dernier mot. Ma mère passe le seuil de ma porte et vient me serrer contre elle, tandis que je suis roulée en boule tel un fœtus. Mon père nous rejoint et me prend également dans ses bras.

-Tout va bien se passer, ma puce. me rassure ma mère en m'embrassant le crâne.

Mais non ! Rien ne va bien se passer. Elle n'est plus là. Comment ça pourrait "bien se passer" ? Et je cris encore plus fort. Je ne m'étais jamais cru d'avoir autant de voix.

Je dois pouvoir voler✅Où les histoires vivent. Découvrez maintenant