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Faire un pacte avec le diable n'est jamais une bonne idée.

Elle s'était endettée de trois obligations en échange du talent appréciable de la Vision.

Lorsqu'il lui avait fait la proposition, quelques mois plus tôt, Ravin n'avait pas hésité. Elle n'aurait reculé devant rien pour avoir le don de voir ses ennemis ; et de ne plus courir le risque de tuer un mortel par accident.

Un « bien sûr » insouciant avait conclu le pacte, et son âme l'avait alors quittée. Elle ne l'avait pas vraiment vendue au diable, plutôt prêtée.

Les marques qui striaient sa poitrine indiquaient qu'elle s'était déjà acquittée de la première obligation. Si facilement qu'elle se demandait maintenant pourquoi cette histoire de pacte lui avait fait perdre le sommeil. En fait, il lui avait suffi de localiser un avaleur de péchés et de neutraliser ses sorts de protection pour faire un immense plaisir au diable. Et elle n'avait pas jugé bon alors de s'interroger sur la facilité de l'épreuve. Pourtant, elle aurait dû se méfier : quand le diable était heureux, il ne fallait pas douter de l'issue de la partie qui venait de se jouer.

Quoi qu'il en soit, il ne lui restait plus que deux épreuves à affronter pour rembourser sa dette... et retrouver son âme. Pour le moment, elle s'occupait de la seconde, qui semblait elle aussi étonnamment simple.

Penchée au-dessus du plan de travail qui séparait son réfrigérateur de son évier en acier d'une propreté irréprochable, Ravin fixait une fiole de verre de dix centilitres. Sa langue dépassait au coin de ses lèvres.

Elle avait passé toute la semaine à rassembler les ingrédients de ce philtre d'amour - l'innocence d'un enfant et la septième vie d'un chat ayant été les plus difficiles à trouver. Après des mesures précises et des incantations, elle avait fait bouillir le tout, puis l'avait laissé refroidir pendant une heure.

A présent, elle versait le contenu de son chaudron dans la fiole. Un diffuseur de parfum faisait flotter dans la pièce un arôme de poires et d'épices pour neutraliser la puanteur du contenu du chaudron. Elle faisait bien attention à ne pas en perdre une seule goutte.

Dans ce cas précis, il fallait soit in- gurgiter, soit étaler sur la peau dix centilitres de ce philtre, afin que les ingrédients pénètrent dans le système sanguin. La magie rendait l'absorption immédiate.

- Un philtre d'amour terrifiant..., marmonna-t-elle.

Après avoir reposé bruyamment son chaudron sur ses plaques de cuisson froides, elle se lança à la recherche du carré de Cellophane qu'elle avait découpé un peu plus tôt. Les longues feuilles des plantes suspendues au plafond lui caressèrent la tête, lui insufflant leur énergie vitale.

Ravin soupira bruyamment et secoua la tête.

- Ce n'est pas ça que je devrais être en train de faire...

Pourtant, faire une potion de temps à autre lui permettait de ne pas perdre la main, tout en faisant pencher la balance dans le sens qui lui était favorable - du moins l'espérait-elle.

Ravin était sorcière depuis plus de deux siècles. Elle avait maîtrisé les magies de la terre et de l'eau, mais l'air était encore un mystère pour elle, et en aucun cas elle ne songeait à manipuler le feu.

Elle ne passait pas beaucoup de temps à concocter des potions ou à réciter des incantations. A vrai dire, elle se servait rarement de ses pouvoirs pour autre chose que pour protéger son appartement des intrus. C'était d'ailleurs la raison pour laquelle la balance ne penchait vraiment pas en sa faveur. Une sorcière n'était jamais en harmonie avec elle-même si elle ne pratiquait pas son art.

La Morsure De La PassionOù les histoires vivent. Découvrez maintenant