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Deux mois plus tôt

Ravin plongea la seringue dans la dernière des douze cartouches de verre qu’elle avait préparées pour la remplir de cinq millilitres de son sang. Ce rituel, elle l’accomplissait tous les dimanches soir. Et elle avait besoin de rituels. Après deux siècles d’existence, c’étaient eux qui l’avaient maintenue en vie et lui permettaient de garder sa concentration.

Elle surveillait les Kilas depuis des semaines. Ils étaient discrets et ne faisaient jamais d’erreurs. Elle attribuait cette caractéristique à leur chef, Nikolaus Drake, qui était connu pour tenir sa tribu d’une main de fer. Pas de morts inutiles, tel était leur mot d’ordre.

Mais Ravin estimait que la mort d’un vampire n’était jamais une mort inutile.

D’après ses estimations, la tribu comptait environ deux douzaines de membres. Ravin ne s’était jamais laissé impressionner par le nombre de ses ennemis. Elle était une sorcière. Tant qu’elle gardait un mur dans son dos et son arme à la main, aucun dents-longues ne pourrait jamais l’approcher. Les vampires n’avaient le choix qu’entre courir ou prendre une balle de sang pour exploser en cendres.

Pour sa part, elle préférait l’explosion à la course. Mais ils pouvaient toujours courir : elle n’abandonnerait jamais son projet de les exterminer tous. C’était une promesse qu’elle avait faite à ses parents le soir de leur mort.

Ravin chargea son revolver et le glissa dans l’étui qui pendait dans ses reins. Elle avait aussi une dague en argent fixée à sa cuisse, dont la pointe de verre était emplie de son sang. Elle portait des bottes de cuir par-dessus son pantalon ajusté, un T-shirt bleu et une veste, en cuir également. Une grande croix en argent se balançait à son cou.

Elle leva les bras pour attacher ses longs cheveux noirs avec un ruban. Enfin, elle enfila ses gants en les faisant claquer et ajusta les lunettes de sécurité qui la protégeaient des débris de vampires.

Ce soir-là, rien, sauf le feu, n’aurait pu l’arrêter.

Sa détermination se nourrissait de l’image indélébile de ses parents morts. Quel que soit le nombre des encoches que Ravin pouvait faire sur son arme, cette image ne s’effacerait jamais de son esprit. Et peu importait que cela fasse pencher son âme vers le côté obscur.

Pas une fois elle n’avait douté de la justesse de sa quête. Si elle l’avait fait, la vérité aurait peut-être été plus difficile à affronter qu’une tribu de vampires assoiffés de sang.

*  *  *

Les loups-garous avaient envoyé un message pour prévenir qu’il n’y aurait pas de rencontre ce soir-là. C’était une initiative de Sévéro, le chef de la meute du nord. Son mépris des relations entre vampires et loups-garous était une insulte pour Nikolaus.

Les vampires avaient toujours considéré la ville comme leur territoire. Les loups-garous se réservaient les banlieues et la campagne. Même si Nikolaus prêchait la paix, il n’allait pas laisser les loups-garous entrer sur le territoire de chasse des Kilas.

— Nous n’avons qu’à le débusquer dans sa tanière, suggéra Truvin Stone, le bras droit de Nikolaus. Est-ce que je rassemble les hommes ?

— Non. Ils nous ont montré qu’ils avaient peur. Ça suffira pour cette fois.

Nikolaus n’avait pas l’intention d’entraîner ses hommes dans une bataille inutile. Les loups-garous, en se retirant, leur avaient offert une victoire sans effusion de sang.

Il pouvait sentir la tension de Truvin, son besoin de passer à l’action et d’affronter le danger. Truvin n’accepterait jamais tout à fait les principes pacifiques des Kilas, mais Nikolaus était certain qu’il faisait de son mieux. Depuis son arrivée dans la tribu, trois ans plus tôt, il n’avait pas tué une seule fois pour se nourrir.

Nikolaus siffla pour rassembler les neuf vampires qui les avaient accompagnés, Truvin et lui. Les hommes se pressèrent en cercle au milieu de l’allée obscure pour recevoir les dernières instructions avant de se disperser.

Il se rendit compte trop tard de son erreur et sentit son sang se figer à la première alerte.

— Sorcière !

Deux de ses hommes disparurent dans une explosion de chair et de cendres. Leurs hurlements lui parurent presque irréels tant l’attaque était soudaine. Il ne pouvait s’agir que d’une Vigilante, armée de balles remplies de son sang, de cocktail de mort.

— La vipère ! grogna Nikolaus en essayant de repérer la direction de l’attaque. On se replie !

Un autre camarade — un ami de quinze ans — explosa devant lui, l’éclaboussant de sa chair et de son sang.

Ils étaient si facilement vaincus… Comment arrêter cela ?

Truvin lui jeta un bref regard et disparut en un instant. En se retournant, Nikolaus aperçut un éclair argenté dans une allée entre deux bâtiments de briques, à une cinquantaine de pas. Elle restait dans l’ombre, sûre d’elle et insatiable.

Il ne restait plus que deux vampires à ses côtés. Pris de panique, ils coururent sans la voir vers la sorcière.

Nikolaus reçut Cory dans ses bras. Il avait été touché, mais étant un suppliant de la tribu — un mortel en quête d’immortalité — il ne disparaîtrait pas comme les autres dans une gerbe de cendres. Nikolaus tira son corps mourant derrière une camionnette rouillée.

Une balle siffla au-dessus de sa tête et se brisa contre le mur de brique derrière lui. Elle contenait du sang de la sorcière.

Un jour, un éclaireur avait réussi à voler une de ces balles pour permettre à la tribu de l’étudier. Il suffisait qu’une goutte de cocktail de mort s’insinue dans le système sanguin d’un vampire pour le dévorer de l’intérieur et le faire mourir en quelques instants dans d’atroces souffrances.

Quelque chose atterrit sur son épaule. Nikolaus sentit de cruelles morsures sur son cou et sa joue. Il déposa Cory sur le bitume et se tordit de douleur. La brûlure s’étendait sur son torse et son bras gauche, dévorant sa chair à travers l’épaisseur du cuir.

— Non…

La balle qui avait percuté le mur l’avait éclaboussé.

Terrassé par cette souffrance surnaturelle, Nikolaus tomba à genoux avant de s’effondrer sur le corps de Cory. Le cocktail de mort lui déchirait la poitrine. Son cœur battait furieusement, comme pour échapper à l’inévitable. Il se roula par terre, espérant faire cesser la brûlure, mais ne poussa pas un cri. Il devait rester mort pour la sorcière.

Dans un bref instant de lucidité, il comprit ce qu’il devait faire. Il avait besoin de sang, de beaucoup de sang.

Tandis que sa chair se détachait de ses os, Nikolaus déchira la gorge de Cory et but en pressant ses mains sur la blessure de sa poitrine pour préserver la vie fuyante de son ami. Il se gorgea de son sang, mais rien ne semblait pouvoir arrêter la brûlure.Tous ses sens aux aguets, de peur de voir surgir l’ennemi, il se rendit compte subitement que son cœur avait cessé de battre. Son cœur…

Sa vue se brouilla. Il ne respirait plus.

Bois !

Ou meurs, de la main d’une sorcière.

La Morsure De La PassionOù les histoires vivent. Découvrez maintenant