Dans la cuisine, tante Abigail préparait un copieux petit-déjeuner à base de pancake, œuf brouillés, haricots à la tomate et bacon. Rien que le parfum qui embaumait la cuisine ouvrait l'appétit. Analynn mit la table sans casser une assiette, ce qui tenait de l'exploit car Dizzy s'ingéniait à essayer d'attraper ce qui pourrait tomber d'un plat, sans succès.
Le staff américain de Clay était, aux yeux d'Analynn, le plus beau chien du monde. Gris bleu, il avait le même regard de miel que son maître. Clay l'appelait sa grosse boule d'amour, et la première qu'elle l'avait vu, Analynn avait littéralement craqué pour lui.
"Dizzy, sort de la cuisine ! Ordonna Clay."
Le staff lui lança un regard que l'on aurait pu qualifier de blasé. Il semblait dire "non mais tu m'as regardé, t'as craqué ou quoi ?" et cela désespérait Clay. Dizzy se remit à suivre Analynn à la trace, espérant qu'elle renverserait une assiette. Mais la jeune femme posa adroitement les assiettes sur la table avant de se planter devant Dizzy. Sans élever la voix, elle s'adressa à lui.
"Dizzy, assis !"
Il obéit aussitôt, sa queue battant frénétiquement de droite à gauche pour marquer sa joie d'avoir retenu l'attention de sa maîtresse. Elle prit un morceau de bacon et le montra au chien, qui se retenait de gémir.
"Va dans ton panier et tu auras ton bacon."
Sans se faire prier, il détala jusqu'à son panier dans lequel il bondit de manière si comique que même Clay, passablement jaloux de sa compagne, ne put retenir un petit rire. Analynn alla jusqu'au panier, donna la friandise à Dizzy et déposa un baiser sur son front.
"Reste là. Bon chien."
Dizzy s'aplatit aussitôt dans son panier en se léchant les babines. Trente secondes plus tard, il dormait si profondément qu'on aurait pu scier des buches à côté de lui sans qu'il ne réagisse. Analynn revint dans la cuisine et échangea un clin d'œil avec Abigail, tandis qu'ils passaient à table.
"Ça me dépasse ça. Je l'ai nourri au biberon mais il m'ignore totalement maintenant, il n'a d'yeux que pour toi.
- Il n'est pas le seul, commenta tante Abigail, l'air de rien.
- Ça veut dire quoi, ça ?
- Le petit-fils du voisin a toujours une excuse pour nous emprunter quelque chose, dans l'espoir de croiser les beaux yeux violets de ta belle.
- Je te demande pardon ? Cette espèce de nabot ? Pour qui il se prend ?
- Il fait ma taille, remarqua Analynn. Serais-je donc un nabot, moi aussi ?
- Je ne voulais pas dire ça, marmonna Clay."
La vérité, c'était qu'à son arrivée, après sa sortie de l'hôpital, Analynn n'avait eu aucun mal à s'intégrer dans leur petite communauté. Malgré son amnésie et ses cicatrices, elle avait pris le parti d'en rire dès le début, ce qui avait désamorcé de nombreuses situations gênantes. Très vite, les garçons avaient remarqué que cette jeune fille avait quelque chose qui manquait aux autres, et plusieurs d'entre eux avaient tenté leur chance. Clay avait craint un moment qu'elle ne lui en préfère un autre, mais tout s'était bien terminé pour lui et cela faisait maintenant quatre ans qu'elle partageait sa vie.
Le petit-déjeuner se passa sans encombre, chacun exposant ce qu'il devait faire de sa journée. Clay travaillait dans une petite entreprise de construction de la ville, il savait manipuler presque tous les véhicules de chantier et il adorait ça. Travailler dans un bureau, face à un ordinateur, à longueur de journée, ce n'était pas pour lui. Tante Abigail continuait à s'occuper des jeunes qui débarquaient dans la ville, comme elle le faisait déjà à son arrivée. Analynn s'était souvent demandé comment elle en vivait car elle n'avait pas tant de patients que ça, peut-être une dizaine à l'année, et ils ne restaient jamais plus de six mois.
"Et toi Analynn, quel est le programme ? Demanda tante Abigail en tartinant généreusement de la confiture sur sa tartine.
- Je dois voir directeur du secteur, pour savoir s'il a un poste permanent pour moi ou pas. C'est bien beau d'aller faire des stages à l'autre bout du monde si au final je n'ai pas de travail.
- Prête à cajoler des lézards à longueur de journée ? Demanda Clay, taquin.
- J'adore les lézards. Je les vois comme des petits dragons qui ont perdu leurs ailes sans que l'on sache pourquoi."
Analynn ne vit pas le regard étrange et alarmé que s'échangèrent Clay et sa tante car elle essayait de récupérer un bout de biscotte qui tentait une brasse coulée dans son bol. Lorsqu'elle releva la tête, ils avaient repris un air normal.
"D'ailleurs, je vais être en retard si je continue à papoter avec vous !"
Elle termina son petit déjeuner rapidement, embrassa Clay, salua sa tante et se précipita hors de la grande maison victorienne. Depuis maintenant deux ans, elle travaillait à temps partiel dans le petit parc zoologique de la ville. Certes, il n'avait pas le panache du zoo de Central Park où de celui de Melbourne, deux grandes structures où elle avait passé d'incroyables moments lors de ses stages, mais elle l'aimait aussi pour son côté familial.
Si l'on ne pouvait approcher les prédateurs, pour des raisons parfaitement normales, il était possible cependant d'interagir avec un grand nombre d'herbivores et d'animaux aquatiques. Ainsi, les enfants pouvaient caresser la trompe d'un éléphant, toucher le museau d'une girafe en passant par une passerelle en hauteur ou donner des poissons aux manchots empereurs et aux loutres de rivières.
N'ayant pas le permis, Analynn se rendait au parc à pied ou en vélo et passait toujours par le centre-ville. Il n'y avait généralement personne mais ce jour-là, pas de chance, elle faillit rentrer dans la personne qu'elle aimait le moins. Celle qui lui faisait face était aussi grande qu'elle et aurait pu être qualifiée de très belle femme si elle n'arborait pas en permanence un air renfrogné et hautain.
Charlaine, surnommée la Veuve Noire par une grande majorité de la ville, était une femme à la moralité douteuse selon Analynn. Celle-ci ne remettait pas en cause son goût pour ses aventures diverses et variées avec ses partenaires, elle était après tout libre de disposer de son corps comme elle l'entendait. Non, ce qui gênait Analynn, c'était le côté prête à tout pour parvenir à ses fins qui caractérisait Charlaine. Elle en avait déjà fait les frais puisque Clay faisait partie de ses cibles privilégiées.
Selon les rumeurs, il était un des rares, voir le seul homme à qui Charlaine avait fait des avances et qui avait refusé d'avoir le moindre rapport avec elle. Savoir qu'il lui avait préféré une inconnue scarifiée de la tête aux pieds, une paumée amnésique, n'avait fait que renforcer sa hargne de le posséder et elle ne s'en cachait pas. Analynn était inquiète car si elle avait totalement confiance en Clay, elle ne pouvait en dire autant de Charlaine et elle s'attendait toujours à un sale coup de sa part.
"Tiens, voilà Scarface, se moqua Charlaine en montrant du doigt Analynn."
Ses amies se mirent à glousser avec elle et Analynn leur adressa son plus beau sourire.
" Bonjour ! Vous n'auriez pas vu des dindes et des dindons par hasard ?
- Heu... non, répondit Charlaine, prise de court. Pourquoi ?
- Parce qu'à chaque fois que je vous croise, je les entends glousser !"
Le groupe se tût aussitôt, vertes de rage. Analynn leur fit un petit signe de la main avant de s'éloigner, contente de leur avoir rabattu le caquet, pour une fois. D'habitude, elle préférait les ignorer mais même sa patience avait des limites. Dans son dos, elle ne vit pas mais devina que Charlaine était en train de l'insulter et de lui faire des gestes grossiers. C'était tout à fait son genre malgré les grands airs qu'elle aimait se donner. Après cette petite victoire, la journée s'annonçait radieuse.
Dans la cuisine, le reste du petit déjeuner se passa dans un silence pesant après le départ de la jeune femme, chacun ressassant les mots d'Analynn à propos des lézards et des dragons. Finalement, tante Abigail se tourna vers Clay, à la fois inquiète et furieuse.
"Je n'aime pas ce genre d'allusions, elles m'inquiètent.
- Arrête, ce n'est rien. Analynn a toujours aimé les créatures fantastiques.
- Pas toujours, répliqua tante Abigail. Et tu le sais parfaitement."
VOUS LISEZ
De l'autre côté du portail
FantasyLynndzee a de jolis yeux couleur améthyste, une chevelure flamboyante et une peau diaphane parsemée de tâches de rousseurs. A seulement 17 ans, elle est déjà morte une bonne trentaine de fois. La vie peut en effet être dangereuse quand on est une No...