Partie 1 - Chapitre 9

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A partir de ce jour, Lynndzee refusa tout contact avec sa famille. C'était trop dur, entre leur déni de la réalité sur ce qu'elle avait subi et les souvenirs qui remontaient à chaque fois plus vivace à la surface. Ses parents continuaient d'appeler, espérant qu'elle se lasse de ce véto qu'elle s'était imposée, mais la jeune fille tenait bon. Elle préférait passer dans temps dans le jardin et se préparer pour la rentrée scolaire qui arrivait à grands pas.

Clay l'aidait grandement dans ses préparatifs, l'emmenant partout où il était nécessaire qu'elle aille pour se fondre dans la masse. La bibliothèque n'avait plus aucun secret pour elle, pas plus que le centre commercial, bien que faire du shopping ne soit pas vraiment sa tasse de thé. Il pouvait être difficile de suivre la mode quand on ressemblait au monstre de Frankenstein. Le grand parc municipal, avec son lac et ses zones boisées, étaient une des zones préférées de Lynndzee. Ils y allaient souvent pour réviser les cours que la jeune fille devait assimiler pour être à niveau à la rentrée.

A quelques jours de septembre, ils étaient en train de revoir quelques notions de mathématiques, à l'ombre d'un grand chêne, quand Lynndzee envoya valser le livre en criant son exaspération, avec une gestuelle si comique que Clay ne put s'empêcher d'en rire.

" Je déteste les mathématiques !

- Ah ça, on aime ou on n'aime pas, reconnut Clay en ramassant le livre.

- Ce n'est pas pour moi, la logique et le raisonnement. Je suis trop conditionnée par le surnaturel, le paranormal où je ne sais pas comment vous appelez ça ici.

- Possible. Il doit bien y avoir des choses qui se ressemblent entre ces deux mondes quand même. La vie sociale, c'était comment ?

- Quand tu ne risques pas ta vie à chaque seconde, je suppose que c'est comme ici. Les cours, les amis, les sorties, les couples, tout le tralala quoi...

- Tu avais un copain ? Demanda Clay de but en blanc."

Lynndzee leva le nez de son bouquin et regarda Clay comme si elle le voyait pour la première fois. Elle explosa soudain de rire, un rire si joyeux et sonore que Clay sentit un frisson lui parcourir le dos. C'était la première fois depuis son arrivée qu'elle était aussi expressive et il adorait ça. Elle avait un rire magnifique, clair et communicatif, légèrement cristallin. Bien qu'il ne comprenne pas pourquoi elle se tordait de rire à en pleurer face à lui, il finit par attraper un fou rire à son tour. Les gens qui passaient autour leur lançaient des regards en biais, se demandant ce qui pouvait bien provoquer une telle hilarité. Lynndzee fut la première à se calmer.

" Pardon, vraiment. Je ne me moquais pas, mais c'est tellement incongru comme question, je ne m'y attendais pas du tout.

- Comment ça ?

- Je suis une Normale. Aucun garçon qui se respecte, dans ce monde, ne m'aurait jamais proposé de sortir. C'était la honte, tu n'imagines même pas.

- Sérieusement ?

- Sérieusement. Donc non, je n'ai jamais eu de copain. Ni de copine. Je t'ai vu venir avec tes gros sabots. Et franchement, ça ne m'a jamais intéressé.

- Pourquoi ?

- Toujours cette question de survie. Depuis ma plus tendre enfance, j'ai dû faire très attention à mes fréquentations, mes sorties, mes rencontres, bref, à tout. Donc trouver un petit ami était le cadet de mes soucis, pour moi c'était juste un risque en plus, résuma Lynndzee en tournant une page de son livre.

- Et maintenant, tu penses toujours pareil ? Demanda innocemment Clay."

Lynndzee referma le manuel de mathématiques et regarda Clay. Bien qu'affichant un air détaché, elle devinait que la question était importante pour lui. Elle avait depuis longtemps appris à lire le langage du corps, et elle devinait plus ou moins qu'il était intéressé par elle. Le pourquoi lui échappait totalement toutefois.

" Je ne suis pas aveugle, personne n'a envie de sortie avec la fiancée du monstre de Frankenstein. J'ai bien vu les regards que l'on me lance avec mes pulls et mes pantalons même en plein été. Je suis la foldingue du quartier, la nouvelle qui ne fait aucun effort pour s'intégrer.

- Tu y vas fort, nuança Clay.

- Vraiment ? Je t'ai vu discuter avec des amis quand je n'étais pas loin. J'ai entendu aussi. Je ne suis pas sourde non plus. Je sais ce qui se dit sur moi. Certaines de tes amies se demandent même comment tu peux passer autant de temps avec... C'était quoi le terme déjà ? Ah oui : un laideron pareil."

Clay se sentit gêné car c'était bien le terme employé par ses camarades. Il n'était pas vraiment ami avec elles mais elles traînaient parfois avec des amis à lui, aussi les fréquentait-il de temps à autre. Il savait que l'une d'entre elle, surnommée la Veuve Noire parce qu'elle collectionnait les petits copains, était très intéressée par sa personne. Mais lui n'avait aucun intérêt pour elle.

" Ne t'inquiètes pas, ça ne m'atteint pas. J'en ai vu et entendu d'autres.

- Ça me gêne quand même. Tu es venue pour avoir une vie meilleure.

- J'ai une vie meilleure. Je suis ici depuis presque deux mois et je ne me suis même pas cassé un ongle. Là d'où je viens, j'aurai frôlé la mort une vingtaine de fois et je serais probablement morte une bonne demi-douzaine de fois.

- Oui, dit comme ça, on sent une nette amélioration. Sinon, tu n'as pas répondu à ma question, lui rappela-t-il innocemment."

Lynndzee ne put s'empêcher de sourire.

" Je suis flattée Clay, vraiment, mais une relation amoureuse n'est pas ce que je recherche actuellement. Tu es la première personne que je peux appeler un ami et je n'ai pas envie de perdre ça. Peut-être que notre relation évoluera, mais ne me force pas la main, c'est tout ce que je te demande.

- Si tu me dis ça comme ça, je vais tout simplement attendre que tu réalises que je suis ton prince charmant sur un beau cheval blanc, plaisanta Clay."

Bien que la réponse ne soit pas celle qu'il attendait, il apprécia la franchise de Lynndzee qui ne le rejetait pas totalement en tant qu'homme. Il était sincère, s'il fallait attendre, il attendrait. Une dizaine d'années si nécessaire.

Lorsqu'ils rentrèrent ce soir-là, tante Abigail tenait deux cartons d'invitations dans les mains et semblait rebondir sur place tellement elle sautillait de joie.

" Les enfants ! Vous êtes cordialement invités à l'avant-première du tout nouveau film fantastique qui passera au cinéma du centre-ville, en présence des acteurs !

- Je te demande pardon ? Qui viendrait faire une avant-première dans ce trou perdu ? railla Clay.

- C'est un film local, tu pourrais être un peu plus chauvin des fois, quand même ! Bref, la troupe d'acteurs du lycée a tourné cet été un petit film fantastique et vous êtes invités, comme tous les élèves de l'établissement.

- Je ne suis pas encore lycéenne moi, remarqua Lynndzee.

- En fait, je t'ai déjà inscrite donc officiellement, tu peux aller à cette projection exceptionnelle. Ça vous fera une petite sortie romantique ! Minauda tante Abigail en lançant des regards en coin à Clay. "

Clay se cacha le visage derrière une main tandis que Lynndzee lui jetait un regard amusé. Il haussa les épaules et l'invita à suivre Abigail, partie sur sa lancée. Ils avaient raté la moitié des informations mais ce n'était pas grave.

" Le thème c'est le fantastique. Rien de fabuleux pour toi Lynndzee, c'est une histoire typiquement humaine avec des sorcières et des monstres. En y repensant, tu n'as peut-être pas envie de te replonger là-dedans.

- Ne vous inquiétez pas, ça ne peut pas être pire que ce que j'ai vécu jusqu'ici.

- Ça va aller ? S'inquiéta Clay, repensant à sa réaction avec Dizzy le jour de son arrivée.

- Oui, je devrais réussir à me contrôler. Et puis je sais que c'est pour de faux, comme disent les enfants, donc ça devrait bien se passer."


 


 

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