Chapitre n°1 : Night Fury

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Je me penche sur mon bureau, les yeux plissés. Mes cheveux tombent sur mes yeux, et je glisse une mèche rebelle derrière mon oreille. La lumière bleue produite par l'écran m'éclaire, halo vif. Je tapote mon stylet, stressée. Cela m'arrive très souvent. Lorsque je cherche une idée révolutionnaire mais que rien ne vient. Tout m'échappe. L'inspiration glisse entre mes doigts comme du sable fin. Design... Je lève mes yeux vers le plafond en secouant mes cheveux. Coque interne... Et si j'utilisais du verre ? Pour une fois ?

- Humm... Non. Tranchais-je.

J'ouvre la barre des menus, et commence à faire défiler la liste interminable des matériaux et alliages. J'ai passé des dizaines d'heures sur ce projet. Enchaîner les plans me permet de me vider la tête. De ne penser qu'à mon travail, et à rien d'autre. Me plonger dans les études. Me noyer dans les dessins, le sport et les livres. Jusqu'à ne plus avoir d'air. Jusqu'à ce que ma tête ne soit plus apte à penser. Je fais de l'apnée. Je fais de l'apnée dès qu'il y a des gens autour de moi. Dès qu'on peut me voir. Et puis le soir, je lâche tout. Je souffle tout l'air de mes poumons. J'essaye de ne pas pleurer. Je convertis ma souffrance en mots, je noircis les pages des carnets, je laisse les souvenirs me brûler la peau, les membres, le cœur...

J'ai déjà créé un modèle de révolver, et revu le design d'un fusil d'assaut. Toujours penchée sur mon bureau dernière génération : le Tak-share. Mi bureau, mi ordinateur. Une idée simple à trouver mais tellement pratique... Le plan de travail est de verre spécial, allié avec une matière synthétique appelé Drastique, ce qui lui permet d'être tactile. Il a fait la une des marché ces trois dernières années, et ça ne m'étonne pas.

J'appuie mon doigt sur la reconnaissance digitale. L'accès m'ayant été autorisé, commence à modifier mon fichier. J'entre les codes qui me permettent de changer les formes, les couleurs. Je fais tourner le plan dans tous les sens, de façon à trouver la petite imperfection qui m'aurait échappée. Je lance la fonction 3D, et un hologramme apparaît devant mes yeux, projeté depuis une lampe à rayon K3. Il est magnifique. J'ai géré le design. Sa silhouette, fine et travaillée, se décline en milliers de facettes d'un noir mat. On dirait un diamant. Un diamant taillé, couleur nuit. Aucune partie, pas même le canon n'est de métal brillant. C'est une question de sécurité. Un seul petit rayon de soleil qui viendrait se refléter sur le canon pourrait trahir son propriétaire. Non. Mon arme doit être la plus furtive possible.

Je passe ma main à travers l'hologramme, laisse courir sur mes doigts les rayons bleus, et finis par fermer la page. Qu'est-ce que papa sera fier de moi ! Je suis tellement impatiente de lui montrer. Ça le fera sourire. C'est devenu mon objectif de chaque jour. Le faire sourire. Le plus possible.

Je l'ai nommé Night-fury. Le premier fusil de précision à vision à la fois star-light et thermique. Lunette de tir ajustée, bouton de changement de vision, équipé, évidemment, du silencieux dernière génération conçu par mon père il y a maintenant deux ans. Nouvelles balles simul42, conçues par une société partenaire, pour dix fois plus de dégât en une seule balle. Mon père dit qu'il ne faut pas avoir de remords lorsque l'on crée des armes. Certaines serviront à tuer, d'autre à sauver ou à protéger. Je crois qu'il essaye de se persuader lui plutôt que moi.  

J'éteins finalement mon bureau, un mince sourire aux lèvres, et m'étale sur mon lit. Ma chambre est immense. Des pans de mur blanc et plaqués bois clair tranche avec le gris foncé du sol. Impeccable. Tout est à sa place. Pas un vêtement ne va traîner sur une chaise. Elle me fait parfois penser à une chambre d'hôpital. La différence, c'est qu'elle a une âme. Un semblant de chaleur, que je lui ai donné, à force de passer du temps enfermé à l'intérieur. Comme si mes émotions avaient fini par s'imprégner dans chaque meuble. Comme si j'avais laissé ici une partie de moi.

Je me redresse dans mon lit. Il est incrusté dans le mur, et éclairé par des lumières indirectes pour ne pas être aveuglantes. J'ai juste a appuyé sur un bouton pour qu'un panneau coulissant vienne me cacher de la lumière. Mon lit devient alors mon petit cocon personnel dans lequel je m'endors, à l'abris sous les couvertures blanches. Protégée du monde. Les murs sont isolant. J'ai toujours trouvé des excuses pour les remplacer, mais en réalité, si j'ai tenu à ce qu'ils le soient, c'est pour que mon père ne m'entende pas crier dans mes cauchemars. Je ne veux pas qu'il s'inquiète. Je ne veux pas lui rappeler. Alors toutes les nuits, lorsque je me réveille en pleurs, je sèche mes larmes seule. Je calme mes tremblements seule. Et je me rendors seule, la peau brûlante aux endroits où les souvenirs ont refait surface.

Je ne me souviens plus de ce que ça fait de dormir une nuit entière.

Expérience 21Où les histoires vivent. Découvrez maintenant