À la maison

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Ce fut lorsque sa mère se tut que Joséphine se rappela où elle était.Le bruit de fond ayant cessé, elle sortit de ses fantasmes et se rendit compte qu'elles entraient en ville. Sa mère la déposa devant son pavillon standardisé, coincé entre deux autres maisons identiques dans un quartier résidentiel où les noms de rues rendaient tous hommage à des musiciens morts depuis des siècles. Si elle avait eu le choix, elle aurait préféré le quartier avec les noms d'oiseaux marins.

En traversant le jardin minuscule, elle perçut la lumière bleutée d'un écran illuminant le micro-salon. Elle espérait juste ne pas trouver les gamins encore debout à cette heure-ci. Elle se débarrassa de son manteau dans l'entrée et rangea son sac à main à son endroit attitré depuis des années, c'est-à-dire entre un buffet montagnard hérité d'une grand-mère quelconque et le porte-manteau sur pied. Elle se déchaussa et pénétra dans le salon. Ludovic son garçon de huit ans dormait profondément sur le canapé face à la télé qui diffusait un téléfilm de « charme» tardif, tandis que son mari lui tournait le dos, cliquant avec une grande vélocité sur son ordinateur. Joséphine ne s'offusqua même pas, c'était comme ça pratiquement tous les weekends où elle pouvait sortir. Elle éteignit la télévision et se posa à côté de son fils, lui caressant les cheveux par automatisme maternel. Alain s'étira dans l'ombre et mit son jeu en pause pour la rejoindre un instant.

« Alors le loto ? C'était bien ?

— À mourir d'ennui ! Comme à chaque fois.

— Mmm...

— Sauf à la fin : j'ai gagné le gros lot.

— Ah oui ? Cool. On va pouvoir le revendre, ça fera un peu de sous pour l'appart'. C'est quoi ? Un scooter ? Un frigo ?

— Non! C'est mieux que ça ! Celui-là on va le garder pour nous deux !

— Ah bon ? C'est quoi ?

— Un weekend de luxe sur la Côte d'Azur. Rien que nous deux au soleil.

— Ah...chez les rupins ?

— C'est fou ce que ça t'inspire ! Regarde le dépliant de l'hôtel : ça a l'air vraiment chic et...

— C'est pas vraiment mon trip ce genre de trucs tu sais.

— T'exagères t'as même pas vu le reste du...

— On verra ça plus tard, hein chérie. »

Alain se leva et repartit immédiatement vers « son trip » informatique.

Joséphine n'en croyait pas ses oreilles. Elle s'était mise à idéaliser son couple, ravie de vivre quelque chose d'exceptionnel, et lui, il venait de balayer en deux phrases ce rêve éveillé. Envolé le weekend en amoureux dans le palace... Quel vieux con !


Trop fatiguée pour se formaliser d'avantage, Joséphine prit Ludovic dans ses bras et le souleva péniblement pour aller le coucher. Puis elle rejoignit sa chambre, se déshabilla et enfila son t-shirt informe avant de rejoindre la salle de bain de l'étage. Face à elle-même,se brossant les dents sans conviction, elle se dévisagea.Ses longs cheveux mal coiffés tombaient sur ses larges épaules trop musclées par le travail à la chaîne. Ses pattes d'oies devenaient de plus en plus visibles, mais elle se trouvait encore relativement épargnée par la fin de trentaine. Elle se rinça la bouche et se redressa devant son reflet. Elle bomba le torse, souleva son t-shirt et considéra son ventre, flasque certes, mais loin d'être proéminent. Ses jambes avaient gardé une ligne relativement correcte et elle était encore satisfaite de ses fesses. Elle se disait qu'avec un peu d'entretien physique et de soins esthétiques, elle ressemblerait un peu à la jeune fille qu'elle avait été. Pour donner écho à ses pensées, elle choisit une crème de nuit qu'elle n'utilisait que trop rarement et se massa le visage délicatement. Quoi qu'en pense son mari et sa famille,elle méritait mieux que cette vie morne et insignifiante.

Jos3phin8Où les histoires vivent. Découvrez maintenant