Tout sur le trente-huit

31 7 7
                                    

La salle des jeux de table ouvrait à vingt trois heures, ce qui laissait le temps pour une flânerie sous les arcades longeant le port. L'air tiède sentait le citron, le clapotis des vaguelettes sous les planches de la marina et la lumière douce du clair de lune,invitaient au repos des sens. Joséphine était parvenue à inviter à dîner le jeune homme du train. Celui-ci n'avait pas été facile à convaincre, puisqu'il était fiancé et qu'il était venu seul passer la fin de semaine sur la côte pour voir ses vieux parents. Mais lorsqu'il comprit les véritables intentions de Joséphine, plus velléitaire que foncièrement vicieuse, il se prit de sympathie pour elle, aussi ils décidèrent tous deux de lui accorder sa petite vengeance sur Alain.

Ils'appelait Paul et il l'avait accompagné jusqu'à son hôtel, puis était revenu un peu plus tard pour lui faire visiter l'arrière pays en voiture, décapotable bien sûr, comme toutes celles de la région.

Alors que la nuit tombait déjà, ils rentrèrent vers le port de Villefranche pour profiter des invitations incluses dans le séjour de Joséphine. La cuisine était succulente, le lieu enchanteur et les cigales leur tinrent compagnie sur la terrasse.

Ils se quittèrent plus tard qu'ils ne l'avaient prévu, mais aussi plus difficilement qu'ils n'y auraient songé plusieurs heures plus tôt. L'inconnu déposa un tendre baiser sur l'épaule dénudée de Joséphine alors que celle-ci n'osait plus lui lâcher la main.

Dans un soupir et un dernier sourire, enfin ils se laissèrent pour reprendre le cours de leurs vies. Joséphine resta un moment le regarder s'éloigner, prise dans le remous d'un étrange sentiment mitigé, ne sachant si cette conclusion douce et amicale était vraiment ce qu'elle aurait voulu pour cette nuit.

Mais autre chose l'attendait encore ce soir. Un nouveau rendez-vous avec la chance. Avec son destin. Alors que ses talons claquaient sur les dalles du chemins la menant au Casino, elle se rappela l'obsession qui l'avait menée jusqu'ici avec une bonne partie des économies du ménage. Évidemment elle n'avait rien pu faire comprendre à son mari. Alain était passé d'une attitude sceptique et à une hostilité franche alors qu'au fil des semaines Joséphine lui égrenait les exemples et preuves de son affinité avec le nombre trente-huit. Et pourtant rien n'avait pu le convaincre de lui faire confiance : ni les photos de son enfance (le numéro 38 sur son maillot alors qu'elle finissait trente-huitième au semi-marathon pour ses quinze ans), ni les récurrences de ce chiffre dans les date de naissance de sa famille. Alors Joséphine,intimement persuadée qu'elle faisait le bon choix et qu'Alain finirait par comprendre une fois les fruits de sa victoire sous les yeux, se décida à effectuer un retrait conséquent du livret familial. 3 800 euros. Autant aller jusqu'au bout de sa logique. Cette somme qui aurait pu paraître conséquente au vu de leurs revenus, seraient au pire, remboursée au bout d'à peine quelques mois d'économies forcenées. En somme, on ne pourrait pas lui reprocher d'avoir mis sa famille financièrement en danger.

Et puisqu'elle avait raison, elle n'avait même pas pris la peine de faire le calcul de son gain lors de sa prochaine victoire. Il fallait garder un peu de magie, une part de surprise.

Enfin,Joséphine, à peine grisée par les cocktails et le bon vin de son repas, s'avança, élégante dans sa belle robe de soirée bleu pâle, vers la caisse du Casino pour acquérir les jetons.

Comme dans un rêve elle traversa les salons dorés et clinquants de l'établissement. Elle eut cependant un petit pincement au cœur en constatant que des années d'épargne représentaient en réalité si peu de jetons au creux de sa main.

La table de la Roulette.

C'était ce pour quoi elle s'était décidée. Les cartes étaient trop compliquées, les règles et le vocabulaire trop techniques.

Mais la Roulette. En une phrase, l'aboutissement de sa vie se jouerait. Elle regarda respectueusement la minuscule bille sautiller de case en case. Les reflets miroitants de la machine l'hypnotisaient. Les pas feutrés, les voix adoucies, le parfum suave des cigares. Elle souriait au monde. Pour elle. Dans un geste qui lui sembla théâtral et superbe, elle tendit sa main pleine d'espoir vers le tapis vert et les yeux pétillants elle annonça au croupier et à tous les joueurs alentour :

«Tout sur le trente-huit. »

 »

Oups ! Cette image n'est pas conforme à nos directives de contenu. Afin de continuer la publication, veuillez la retirer ou mettre en ligne une autre image.
Jos3phin8Où les histoires vivent. Découvrez maintenant