— Ben oui, mais il ne faut pas oublier Madame, sinon je peux penser que vous voulez frauder.— Vous voyez bien qu'il y a les dates imprimées derrière !
— Oui, et je ne vois pas celle d'aujourd'hui !
— Écoutez c'est ridicule. J'ai oublié aujourd'hui je suis désolée. Ce n'est pas comme si je ne payais pas mon abonnement tous les mois depuis des années...
— Oui ben il n'y a pas de traitement de faveur. Vous pouvez prendre le bus tous les jours sans valider votre billet aussi.
— Bon et bien je ferai attention demain matin. C'est bon ? je peux reprendre ma carte ?
—Écoutez, Madame, ne le prenez pas sur ce ton ! Je ne fais que mon métier, je suis navré que vous voussoyez réveillée du mauvais pied ce matin mais ça ne changera rien.C'est inutile d'avoir ce comportement ... »
Joséphine eut soudainement l'impression qu'on la prenait pour quelqu'un d'autre. Ce type était en train de la juger, de l'accuser. De quoi au juste ? De ne pas avoir respecté le protocole établi par la compagnie de transport ? Elle devait glisser un billet déjà payé depuis des semaines dans la fente d'une stupide machine avant des'asseoir ? C'était ça son crime ?
Et ce pauvre mec qui la regardait de son air supérieur, engoncé dans son costume à bon marché réglementaire. Une cravate et ça lui suffisait pour se permettre de la dominer ?
« S'il vous plaît, ma carte... »
Dernière tentative. Elle prit sur elle pour ne pas éclater ou pleurer de frustration. Mais ses doigts tendus vers le sinistre individu ne récupérèrent toujours pas ce foutu billet !
« Je vais d'abord prendre votre nom pour laisser un signalement à mes collègues. Au prochain esclandre... »
Esclandre.Ce fut le mot de trop. Joséphine était parfaitement réveillée mais elle ne sentait pas agir dans la réalité. La grosse dondon à ses côtés ne voulant pas être mêlée à un choc frontal, décida qu'il était temps de quitter son siège, même si elle ne descendait que deux arrêts plus loin.
«Un esclandre ? Moi je fais un esclandre ? Non mais vous vous fichez de moi ? Je me suis excusée, platement, alors que tout ce que vous avez à me reprocher c'est d'avoir oublié pour la première fois en douze ans, de valider mon billet, qui est déjà payé depuis deux semaines d'ailleurs. Et vous pensez que ça vous suffit pour relever mon nom et le « signaler » à vos couillons de collègues ? Si vous voulez un esclandre je peux vous en faire un ! Abruti !
— Bon ! Vous l'aurez cherché.Celle-là vous l'aurez pas volé !
— Y'a un souci, André ? Calmez-vous, Madame, on n'entend que vous. On fait notre boulot alors s'il vous plaît, respectez au moins ça.
— Non mais vous croyez quoi ? Avec vos jugements hâtifs à deux balles. Vous pensez que je suis là pourquoi ? Vous êtes debout depuis combien de temps ? Une heure ?Deux heures ? Moi je viens de me taper huit heures de boulot à la chaîne, à emballer les plats préparés que bobonne vous servira ce soir ! Vous croyez que je ne fais pas mon boulot aussi honnêtement que vous, c'est ça ? Et vous pensez peut être que c'est plus facile que traîner mon cul toute la journée dans des rames d'autobus ? Vous vous figurez peut être que je vais aller me coucher le cœur serein ? Alors que je dois encore réveiller mes gosses et les envoyer à l'école ? Alors ton amende à la con, tu vas me la donner et l'encaisser tout de suite, d'accord ? Si c'est le prix à payer pour finir ce putain de trajet en paix, ça sera pas grand-chose !
— Ça fera trente huit euros, pour le billet non validé et le scandale en public. Et on ne prend pas de liquide.
— Ça suffit maintenant ! Veuillez descendre de ce bus Madame ! »
Joséphine arracha sa carte des mains du second contrôleur intervenu en cours «d'esclandre », puis l'amende des mains du premier. Elle la déchira d'un coup sec puis la lui lança à la figure. Elle sortit ensuite deux billets de vingt de son porte monnaie, les roula en boule et leur fit suivre la même trajectoire. On l'invita ensuite à sortir d'un mouvement ferme qui la propulsa dans l'abribus le plus proche.
« Espèce de tarée ! On t'oubliera pas connasse » furent les derniers mots qu'elle entendit une fois sur le trottoir, alors que le bus redémarrait l'instant d'après.
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Jos3phin8
Short StoryJoséphine 38 ans Pourquoi avoir attendu si longtemps avant de se rendre compte que sa vie était aussi insignifiante et morne ? A trente-huit ans, tout est encore possible. 38, c'est un bon chiffre.