Chapitre 1 - London's Blood

154 18 13
                                    


Violet



La pièce sentait le vieux whisky et le tabac de bonne qualité. C'était ça, cette odeur qui m'avait premièrement frappée en entrant dans les appartements de Lord Bridgewater. Plus que les lourds rideaux de velours écarlates, plus que le parquet sombre parfaitement ciré, plus que les imposants meubles d'ébènes et plus que les draps de soie blancs, c'était cet alcool imprégné dans tous les tissus et cette fumée grise qui s'étaient gravés dans ma mémoire. Quel âge avais-je, la première fois ? Seize ? Dix-sept ans ? Je n'en avais plus aucune idée. Mais pour moi, c'était il y avait si longtemps que la fillette maigrelette aux yeux hagards qui avait pénétré ici en tremblant de tous ses membres n'était pas moi. Une distante cousine, peut-être. Je reconnaissais son visage d'albâtre, si blanc qu'il aurait pu être celui d'une malade et ses dents du bonheur, sa canine cassée. Oui, une cousine. Mais pas moi.

Sa main calleuse remonta brusquement le long de ma cuisse et serra ma chair entre ses doigts noueux. L'or glacial de sa chevalière contrastait de la moiteur de sa paume. Un frisson remonta le long de mon échine et fit se dresser les cheveux sur ma nuque. Agissait-il toujours avec si peu de retenue ? Choquant.

Dos à lui, l'homme ne vit jamais mes yeux se lever au ciel et n'entendit pas le soupir exaspéré que je lâchais. « Tu es si peu distinguée ! » J'entendais presque la voix de notre maquerelle, Hera, me sonner dans les oreilles.

Prenant mon mal en patience, je plaquais délicatement ma main sur la sienne pour arrêter son ascension. Il n'avait pas payé pour une nuit, mais uniquement pour une petite soirée. Et on ne profitait pas de moi sans sortir quelques pièces de sa bourse. Lentement, je me retournais pour lui faire face, un sourire froid sans humour gravé sur mes lèvres. C'était ainsi que notre propriétaire voulait que l'on réagisse. Calmement, gracieusement et de manière féminine. Délicatement. Je fis claquer ma langue contre mon palais et fis non de l'index, grondant un enfant trop gourmand. Les yeux mi-clos de Bridgewater se plissèrent.

_Oh allez... Ne sois pas comme ça. On se connait depuis longtemps, ne pourrais-tu pas faire ça pour moi ?

Sa voix rauque se faisait presque suppliante. Je laissais courir mes doigts le long de ses favoris poivre et sel avant de presser mon pouce contre ses lèvres, effleurant sa moustache fournie. Il avait l'âge d'être mon père. Une cinquante d'années, peut-être. Je ne m'étais jamais vraiment renseignée à ce sujet. L'important était qu'il payait bien et que son lit n'était pas inconfortable. Avec le temps et suite à nos nombreuses rencontres, j'en avais pourtant appris plus sur lui. Un bon aristocrate, père de famille, vivant de ses rentes. Rien de très passionnant. Il n'offrait jamais de présents et se montrait versatile. Il se prenait de passion pour une des filles du lupanar durant des mois entiers et changeait du jour au lendemain. Moi, j'étais la constante. Surement parce qu'il avait connu ma mère. Certaines des filles trouvaient cela répugnant. « Un vieil homme à qui tu rappelles ta mère ! C'est répugnant ! » Certes. J'étais d'accord avec elles, en un sens. Mais avais-je vraiment le choix ? Certainement pas. Alors, mieux valait faire contre mauvaise fortune bon cœur et profiter des quelques pièces qu'ils m'offraient contre mes services.

_Je ne suis pas Aphrodite, vous devriez l'appeler la prochaine fois.

_Violet, je-

_Ne m'appelez pas comme ça, le coupais-je d'une voix douce, mais ferme, pas quand je travaille.

L'utilisation d'un pseudonyme était le passage obligé lors de l'entrée dans la maison close. Hera ne nous laissait pas d'alternative. Elle prétextait que c'était plus sûr, avec tous les hommes lubriques qui rôdaient et qui pourraient faire pression sur notre famille ou même sur notre propre petite personne en se servant d'un passé embarrassant lié à notre vrai nom. Je ne lui donnais pas tord. La maquerelle préférait les surnoms tirés de la mythologies grecque dont elle était une grande admiratrice. Je ne savais pas si Hera était son vrai nom, mais j'étais prête à mettre ma main à couper que ce n'était pas le cas et qu'elle avait elle-même oublié son nom de naissance.

Victorian HuntingOù les histoires vivent. Découvrez maintenant