Chapitre III : Course poursuite

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Ils attachèrent ma laisse au tronc d'un arbre proche de l'église avant d'y entrer, me laissant là, seul. Après un court moment, des hommes vêtus entièrement de noir s'avancèrent vers l'église. Ils portaient cérémonieusement des boîtes de bois. Je les regardais sans comprendre. Ces longs coffres contenaient les dépouilles de mes maîtres, j'en étais persuadé mais... pourquoi mettre des cadavres dans des boites ? Les humains avaient vraiment de drôles de pratiques. Enfin, trêve de pensés inutiles, je devais les venger, coûte que coûte !

Je tirais alors sur mes membres le plus fort possible afin d'échapper à cette satanée laisse, quitte à me couper la respiration. Je tirais, tirais, tirais jusqu'à ne plus pouvoir respirer. Il était là, cet assassin, si proche de moi ! La haine est le meilleur des antalgiques. A cet instant je pus le vérifier : j'aurais dû souffrir le martyr mais... je ne ressentais rien ! C'était tellement étrange, j'entendais mes jappements de douleurs mais... je ne ressentais aucune douleur.

Les hommes en noir entrèrent finalement dans l'église avec les boites en bois contenant ce qui fut jadis mes maîtres puis ils refermèrent la lourde porte à double battant, me laissant seul. Je continuais à tirer sur ma laisse, m'étranglant toujours en vain. L'assassin descendit de son perchoir avec la grâce d'un chat. Il s'approcha de moi sans la moindre expression. Accroché à sa ceinture, je distinguais clairement son coutelas qui, contre sa cuisse, rythmait ses pas. Je tirais plus fort, de plus en plus fort à mesure qu'il s'approchait de moi.

- Tsssss, siffla-t-il, tu t'es vu ? Je n'ai jamais vu créature plus pitoyable et laide que toi. Tu fais tellement pitié que mon cœur de pierre me supplie de te laisser accomplir ta vengeance envers moi. Alors... amusons-nous !

Il s'approcha de moi le sourire aux lèvres. Je continuais à tirer sur ma laisse comme un forcené en haletant de douleur. L'assassin sortit doucement son long couteau. Il plaça la lame aiguisée comme un rasoir au beau milieu de la laisse. Il n'eut aucun besoin d'appuyer son geste, les mouvements que j'y imprimais suffisaient amplement à l'entailler. A plusieurs reprises, je tentais de lui sauter à la gorge mais, chaque fois, il était plus rapide que moi et parait mon geste sans effort. D'un simple mouvement de coude, son avant-bras venait heurter ma gueule et déviait la charge avant qu'elle n'atteigne son but, mes mâchoires se refermaient alors dans le vide, dans un claquement sinistre et frustrant. Finalement, la laisse finit par ne plus tenir que par de minces filaments, facilement cassables.

- Je te laisse un petit handicap, me susurra-t-il à l'oreille tout en continuant à dévier mes coups d'une seule main, sans effort apparent. Après tout, en ce moment, tu possèdes le plus puissant et destructeur de tous les pouvoirs : la haine.

Après ses mots, il partit en courant vers la forêt. Je tirais encore plus fort sur cette fichue laisse, je ne devais en aucun cas le laisser s'échapper ! L'assassin était déjà loin de moi quand elle céda enfin. J'en ressentis un sentiment de victoire et d'euphorie guerrière : j'étais enfin libre, libre de le déchiqueter ! Je me mis à sa poursuite, courant le plus rapidement possible. Lui aussi courait plutôt vite (pour un humain) mais en gardant cette cadence infernale, j'étais sûr de le rattraper. Il pénétra dans la forêt, je le suivis sans une seconde d'hésitation.

Plus nous avancions, plus la forêt devenait dense. Au lieu de courir tout droit, nous étions contraints de faire d'incessants détours car la végétation ne daignait nous laisser passer. Je continuais de lui courir un long moment. Dans le ciel, le soleil avait atteint la ligne d'horizon, nous plongeant dans une lumière rose et tamisée. On avait dû courir un long moment et la fatigue commença à sérieusement se faire sentir, pour moi comme pour lui d'ailleurs. L'assassin semblait exténué, moi aussi de toute façon. Il monta dans l'arbre le plus proche comme l'aurait fait un félin et s'installa sur une branche pour se reposer. Je couru vers l'arbre et tentais d'y monter, mais je n'y parvins pas. Je continuais sans m'arrêter puis, à bout de force, je fus contraint de m'asseoir pour reprendre mon souffle. Ne pouvant pas faire grand-chose d'autre, ma détermination intacte, j'étais bien décidé à attendre qu'il se jette lui-même dans la gueule du loup - c'est à dire la mienne.

L'attente dura sans doute longtemps car lorsqu'il se décida enfin à se lever il faisait nuit noire. Je ne voyais plus rien mais je l'entendis clairement se lever. Il s'étira puis je senti ses yeux se poser sur moi.

- Tu ne lâcheras pas l'affaire, hein ?

Je ne bougeais pas d'un pouce, mes réflexes m'ayant contraint à adopter la position de l'arrêt, plongeant mes yeux dans les siens.

- Pfffffff, franchement tu fais chier. J'suis fatigué moi ! Enfin bref, on reprendra ce petit jeu plus tard, promis... Smily ! Je rentre chez moi, t'as qu'à me suivre si ton cœur de chien t'en dit.

Je l'entendis se déplacer, sautant de branche en branche avec une facilité déconcertante. Il ne tentait plus de me semer, il se déplaçait d'arbre en arbre, lentement mais sûrement. Je le suivais au sol d'un pas précipité attendant la moindre erreur de sa part pour lui sauter dessus. Malheureusement pour moi, il semblait expérimenté et il ne fit pas le moindre faux pas. La frustration me rendait fou. Je ne pouvais m'empêcher de faire trop de mouvement, de tourner parfois en rond et de japper stupidement et inutilement, incapable de rester digne.

Nous finîmes par arriver en face d'un immense manoir bâti en pleins cœur de la forêt. Escaladant prestement un grand arbre contigu à la grande bâtisse, il s'engouffra à travers une fenêtre ouverte. Ne pouvant le suivre par ce chemin de monte-en-l'air, au paroxysme de l'excitation, je fis prestement le tour de la bâtisse jusqu'à trouver une grande porte de bois. Je me dirigeais vers celle-ci, avant d'y buter. Je ne pus m'empêcher de gratter à la porte comme un forcené en poussant des jappements. Tout à mon énervement vengeur, il me fallut un moment pour réaliser que le manoir était éclairé à l'intérieur. Mon attitude peu digne d'un tueur n'était pas si inadaptée que cela, finalement : j'étais sûr que mon raffut finirait par alerter les habitants et que cela les pousserait à ouvrir la porte... c'est en effet ce qu'il advint.

La lourde porte tourna sur ses gonds. Une petite femme aux cheveux blond taillés courts apparu alors sur le seuil. Elle devait être âgée d'une vingtaine d'années. Dès que ses yeux noirs se posèrent sur moi, un grand sourire illumina son visage.

Smile Dog (origine) {TERMINER}Où les histoires vivent. Découvrez maintenant