Chapt'r One : Breathe Badass...

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     Du bruit dans la chambre à coucher, Nyx bouge avec précipitation, comme si un coup de sang venait de la saisir. Elle s'est jetée au travers du lit pour se relever du côté de l'armoire, bute contre la pile de livres à lire d'Icarus et renverse du même coup les deux alliances de son amant.

     Elle se redresse dans sa course, la porte gauche du meuble coulisse, Nyx se saisit d'un maillot orange, celui des Broncos qu'il lui avait offert... Elle ouvre le sac de l'invité chez elle, encore en bas attablé dans la cuisine à relire ses traits d'encre. Elle y enfourne le jersey et s'en va de la chambre. Elle se sent mal. Elle en est malade. Il n'envisage pas encore l'étendue de ce qui va lui tomber dessus.

     Elle si...

     L'écho de ses pas vifs descendant l'escalier en bois résonne encore dans sa tête. Son regard troublé par l'arrivée de celle qu'il aime. Elle semble gênée. Son émeraude le fuit par ce qu'elle doit lui annoncer. Il le voit. Il sait déjà avant même d'entendre le premier coup de tonnerre. Son monde s'écroula ainsi :

     - Écoute, je crois que ça ne va pas le faire entre nous. Je ne me sens pas bien. J'en suis malade depuis deux jours. Je crois qu'il faut que l'on arrête... Tu pars demain...

     D'un éclair, Icarus cessa de respirer pour toujours. Son cœur arraché par les griffes de la Déesse. Accablé par un poids énorme, la tristesse du rendez-vous manqué. Il n'arrivait plus à expier d'air. Leur relation s'est éteinte ainsi, sans pouvoir sauver tout ce qui pouvait l'être...

     S'en est suivi désolation, rancœur, colère, rejet, dégoût, trahison... Tout y est passé jusqu'à ce qu'il lui pardonne. Oui, elle avait commis acte d'amour afin qu'il se réalise enfin en ce qu'il est... Incompréhensible selon ses proches au regard du traitement infligé à cet homme...

    Le mal lui en voulait de ne pas être...

    Même à l'instant où il arrête son va et vient intensif sur le rameur. Au terme de quarante minutes, son regard est livide. Inexpressif. Où est-il ? Son âme est perdue ailleurs. Seul son corps indique qu'il est présent. Il perle de sueur...

    Ses yeux sont rouge.

    Une tristesse l'habite. Une mélancolie qu'il souffle et expire. La douleur perdure chaque jour un peu plus. Il est temps de prendre une douche... S'occuper l'esprit à tout et n'importe quoi... Même là-bas. Nous sommes dans Manhattan, trente jours après les faits de la séparation houleuse, bouleversante, infondée si l'on en croit la litanie de l'être blessé. Icarus condamné au silence et à l'ignorance dans une geôle d'infortune pour ne pas avoir été à la hauteur de celle qu'il aime, Lady Nyx.

     Ses torts sont nombreux...

     Forcément, non ?

     La maîtresse de la nuit est innocente...

     Elle a toujours raison.

     Coupable lui de s'être laissé aller durant des années, oubliant les efforts à consentir pour être enfin ce à quoi il aspire. Son manque de lucidité dans les moments cruciaux. Les messages clairs entendus mais suivis de réflexions inappropriées. Agir au lieu de réfléchir. Nyx l'avait envisagé : Icarus possède bel et bien tout pour la combler.

     La réalité de l'instant était autre...

     La douleur de se regarder enfin tel qu'il est devenu. "Ce n'est pas moi !" s'écrie-t-il de rage la tête baissée sous le jet de la douche. Le poing droit frappant le carrelage. Blessé au plus profond de ses entrailles, il a fui. Acquérir l'Immortalité par l'acte d'amour déposé à ses pieds par son aimée : le fait d'être rejeté...

     Plus rien ne compte à part composer la mélodie d'un Opéra rédigé par sa plume. Une invitation à une romance, une Odyssée lancée sur le chemin d'une reconquête impossible. L'amour triomphe de tout. Il l'a vue amoureuse. Elle l'a aimé... Ils n'étaient simplement pas prêts. Il rêve. Encore.

     - Monsieur ? Vous avez terminé avec le casier ?

     - Oui, vous pouvez le prendre...

     Le retour à des préoccupations terre à terre lors de ce bref échange avec un homme pressé de vouloir aller se réaliser dans la salle de Gym. Icarus a répondu. Ses pensées envahies par elle. Ce goût de l'inachevé...

     Ses poumons manquent d'air. Icarus se reprend. Il est temps de rentrer chez lui. Mis au purgatoire, exécré, notre homme n'est plus rien ni personne. Après avoir poussé la porte du vestiaire homme, cellulaire à la main, les yeux rivés sur l'écran attendant le téléchargement et l'accès à sa page Facebook, il n'aperçoit pas les deux femmes qui se portent à sa rencontre dans le sens inverse. Icarus emplafonne l'une d'elle...

     - Oh mon Dieu, je suis désolé.

    La jeune femme a percuté son pectoral droit. Il a senti le visage s'imprimer sur le grain de sa poitrine. Là où un mal le ronge. Son poison. La vie insufflée selon le bon vouloir de sa Déesse. Seulement ici, elle ne peut rien au visage de la jeune femme tenu dans sa main. Le choc a été frontal et brutal. Il la regarde tout en sortant son portefeuille de sa poche. Il tente de calmer le petit incident. ici, il est si facile de se prendre un procès dans la gueule pour tout, pour rien. Il suffirait juste que cette femme soit mal lunée :

     - Bonsoir, je m'appelle Icarus Schreiber. Voici ma carte professionnelle, si vous devez passer des examens ou quoi que ce soit, appelez-moi. Mon assurance couvrira les frais. Je vous présente mes excuses mais je suis attendu. Je dois y aller. Bonne soirée mesdames.

     - Bonsoir. D'accord.

     Icarus s'en va, un peu confus. Désolé surtout, vraiment. Mais le connaissant, il a déjà replongé dans son marasme intérieur car il n'entend pas le commentaire de l'amie de la bousculée qui murmure à son oreille :

    - Craquant son accent et bien polis de surcroît.

    - Oui mais bien un mec. Qu'est-ce qu'il est maladroit! Ah oui ?! As-tu vu comment il a rougi ?

    - Oui, j'ai trouvé ça très mignon... Tu as sa carte, fais le marché, appelle-le.

    - Non, ce mec doit être en couple.

    - Il ne portait pas d'alliance...

    Icarus est sorti de la salle de Gym exténué d'avoir sué sang et eaux. Le héraut grec se dirige vers son quartier de prédilection avec l'idée de s'asseoir à la terrasse d'un café, Aux Deux Gamins, dans Greenwich Village...

     Lieu qu'il considère comme parfait pour conjurer le mauvais sort qui l'a rendu ainsi : triste résidu de tripes à l'air. En fait, de vivre avec un mal-être : le poids de la culpabilité. De s'être déçu sur tout ce qu'il est. De ne pas être à la hauteur de la plus belle chose qui lui soit arrivée au monde. De s'être vu tel qu'on le voyait. L'image miroir renvoyée... par elle.

     L'imperfection.

     La sienne qui le ronge depuis son enfance. Une douleur le tiraille, insupporte ses pensées, le tyrannise dans le moindre de ses faits et gestes. La crise d'angoisse n'est jamais très loin. Il s'arrête sur l'asphalte, s'étire tout en écartant les bras, le sac posé au sol...

     « Respire ! Bordel ! Respire... » songe-t-il tout en fermant les yeux.

Soul of silenceOù les histoires vivent. Découvrez maintenant