Chapt'r 6 : Dead Inside

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    Une journée entière passa à la terrasse du café dans Greenwich Village. Les deux Gamins avaient littéralement chamboulé les agendas des deux. Avaient-ils pris plaisir à échanger? Toujours est-il qu'au cours de ce long moment de partages, l'un et l'autre en savaient davantage sur son vis-à-vis.

    - Je m'appelle Harley ! Je ne me suis pas présentée la dernière fois. Vous vous rappelez?

    Icarus qui l'a vu débarquer à vive allure jusqu'à lui ne s'attendait pas à trouver à quelques centimètres de son visage une main tendue sur une mine souriante. Il la prenait pour la saluer. Il enserra la main, sans y mettre de pression tout en la regardant droit dans les yeux.

    Le toucher de la plume frappait alors.

    Encore.

    Il remarquait l'œil de la jeune fille qu'elle présentait le petit indice : l'écartement furtif de son iris. Il l'invitait à s'asseoir pour se prendre un café mais, pourquoi faire, elle savait se débrouiller toute seule sans aide. D'ailleurs:

    - Un thé Darjeeling pour moi, pas de café, sauf le frappé, à 1:00pm...

    - Toi aussi, tu aimes le frappé?

    - Ouais! claque-t-elle. C'est cool, nous avons des goûts en commun, tout en ajoutant un sourire.

    - Oui, je vois ça, tu es bien matinale... Du boulot? Des soucis? Tu sors à peine de boite?

    - Oh non... Rien de tout ça... Je te cherchais... lâche-t-elle sans hésiter et marque une pause de deux secondes. Je plaisante... Je préfère le préciser avant que tu fasses un malaise monsieur le romancier...

    - Oui Mademoiselle Harley, faites attention à mon cœur. Ben non, même pas besoin, je n'en ai plus. J'ai juste des problèmes de sommeil. Énormément de boulot, oui, en retard, toujours... Il faut que je m'active mais, je n'ai pas toute ma concentration...

    - C'est à cause de moi ? l'interrompt-elle innocemment.

    Ike redresse la tête, interloqué par la réponse.

    L'estocade spontanée l'a saisi à froid.

    "Lui ferait-elle du rentre dedans ?" pense-t-il.

    L'héroïne de chez DC Comics Harley Quinn, là, devant ses yeux, la folie à l'état pure, une excitée du vagin ou quelqu'un qui le voyait tel qu'il était? Un miracle? Il en rirait presque. Mais là, elle alliait l'image à ses pensées troublées. Cette fille en face de lui pose son coude sur la table, le regarde avec sourire, casse le poignet et pointe les doigts en sa direction. Elle rajoute suavement :

    - Je plaisante... prononcé comme l'actrice du film Suicide Squad. J'avais dit que tu es songeur lorsque tu écris...

    - Oh ça... Ok. On va dire ça oui... Oui, je ne bosse pas encore, tu as vu, je n'ai rien sorti enfin si tu as vérifié sur ma page pro.

    - Oui, je l'ai fait. Tu as un style. C'est particulier et tu bouges les gens. c'est du vécu ?

    - On donne toujours une part de soi, non ? Et toi alors? Que peux-tu me raconter sur toi? l'interroge-t-il tout en cachant au mieux sa décontenance.

    - Donc, je m'appelle Harley, comme la moto si ça te fait sourire...

    - Je dirais plus comme la compagne du Joker.

    - Ah toi aussi, tu connais ça... Mon frère ainé les collectionne...

    - Je suis plus sur Marvel avec mes garçons.

    - Mon frère aussi, je te le présenterai un jour. Tu as des enfants? Marié donc...

    - Réponds à ma question sur toi s'il te plaît...

    Icarus en apprenait de belles sur cette Harley qui se présentait comme l'ancienne capitaine de son équipe de Softball universitaire, qu'elle pratiquait le tir à l'arc de chasse avec son père, que sa mère n'avait jamais apprécié ses petits copains et qu'elle comptait bien lui prouver le contraire un jour où l'autre. Surtout, qu'elle était célibataire et en recherche du mec capable de la faire rêver. D'après ce qu'il en comprenait, ça tombait bien pour cette femme de 32 ans remettant au clair l'estimation erronée de son âge lors de leur première rencontre...

    Toujours est-il qu'elle se racontait entre sa jeunesse studieuse, le fait qu'elle soit une grande solitaire, préférant même jouer toute seule au lieu d'avoir à inviter des amies à la maison. Elle se disait être très indépendante mais aussi très entourée avec une ribambelle d'amies, mariées, en concubinage ou seules... Icarus souriait à toutes ces anecdotes jusqu'au moment où pris par surprise alors qu'il venait juste de déposer son avant-bras sur la table, main tendue avec nonchalance, elle se saisit de sa poigne.

    Le contact de ses doigts contre sa peau. La tendresse du geste pour essayer de fissurer l'intérieur de l'homme perdu dans ses songes pour une autre. Oui, elle, Lady Nyx... Il se souvient de son toucher à elle et le sien sur sa peau. Lors de leur première nuit, en vacances avec ses enfants dans l'antre de la Maîtresse des Nuits, allongée à côté de lui, il avait laissé glissé le bout de ses phalanges sur elle mais la réaction n'avait pas été celle escomptée... Elle ne supportait pas ses caresses, ses effleurements, cette douceur qu'il déposait sur elle. Elle l'avait repris comme quoi il risquait de lui bloquer le dos... Ce grain de peau qui frissonnait... Puis, les propos de Nyx étaient devenus plus acides :

    - Putain mais fais marcher ton expérience... Allez arrête, ton toucher en devient désagréable à la longue...

    Icarus reprend ses esprits. Il se ressaisit et retire sa main avec vivacité, comme s'il avait été mordu par un froid invisible. Son regard est paniqué, comme si sa vie en dépendait. Se sentait-il coupable d'avoir touché une autre qu'elle ? Ou revivait-il la même horreur d'avoir entendu celle qu'il aimait le rabrouer de la sorte, incompréhensible de la part d'une femme qui lui avait dit je t'aime... ?

    D'un coup, l'ailé se relève :

    - Je dois y aller. Je suis désolé. Je ne me sens pas bien... Pardonne-moi Harley, je t'expliquerai plus tard. Bonne fin de journée à toi...

    - J'ai fait quelque chose de mal?

    - Non, rien du tout, c'est moi...

    Pour la deuxième fois, sans demander son reste, Icarus s'enfuit à nouveau, vers où ? Chez lui très certainement. Il attend tellement que les choses bougent et puis, ça va se produire, dans quelques jours, ses fils seront présents chez lui, de quoi occuper ses pensées et atténuer peut-être son trouble intérieur... Qui sait ce que l'amour des enfants apporte dans la vie d'un parent ? Là, il savait juste qu'il était mort à l'intérieur...



Soul of silenceOù les histoires vivent. Découvrez maintenant