Chapitre 9

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10 août 1892

Cinq jours après l'incident, Oscar s'approcha lentement de la morgue. Le long couloir en pierre de l'hôpital résonnait sous les talons du bel homme. Il pleuvait encore dehors, de l'eau s'infiltrait à l'intérieur, plafond laissant quelques gouttes passer au travers. Le jeune détective franchit une première porte et la température tomba rapidement. Une odeur de cadavre mêlé à l'odeur de la pierre humide lui monta aux narines. Lorsqu'il passa la deuxième entrée, c'était l'odeur proéminente de la mort qui lui resta.

Il eut un haut le cœur et rejoignit Eshaveer devant la table où gisait un corps dont la décomposition était déjà bien avancée.

« C'est elle ? demanda Oscar à son ami.

— Non, soupira l'indien. Je pense que c'est une autre vagabonde.

— C'est tout de même fou la quantité de cadavres que l'on peut trouver dans ce ravin. »

Il y avait cinq jours, Oscar avait entrepris des recherches dans la vallée afin de trouver la dépouille de Mary. Les policiers qui fouillaient le précipice avaient déjà trouvé trois cadavres près de là où le train s'était arrêté durant la nuit du meurtre. Certains devaient être là depuis des années, mais aucune trace de la jeune femme, bien que l'on retrouva sa valise et ses affaires.

« Peut-être a-t-elle survécu finalement. Le ravin n'est pas si haut que cela et les broussailles ont pu amortir sa chute. Après tout, Alexander Butler a très bien pu ne faire que l'endormir avant de la jeter. »

Oscar secoua la tête.

« Je ne pense pas. Il y a tout de même vingt mètres séparant le fond du haut du précipice et les buissons ne sont pas très hauts. Des bêtes sauvages ont dû la déplacer. Rien d'autre ?

— Si, fit Eshaveer en se déplaçant vers une armoire en bois. On a retrouvé la robe de chambre quand tu étais dans le précipice. »

Il lui présenta un sac en papier duquel il sortit le vêtement en soie rouge. Il pointa du doigt une grosse tache marron sur le col qui semblait avoir été délavée par la pluie torrentielle de la nuit du meurtre, mais qui restait tout de même visible pour ses yeux aguerris.

« C'est du sang séché, affirma le docteur. Probablement celui de Mister Harold Campbell.

— Enfin une bonne nouvelle ! » répondit Oscar.

Il s'empara de l'habit et se dirigea vers la sortie. Avant de franchir la porte, il jeta un dernier coup d'œil sur un autre corps recouvert d'un drap blanc, dont seul les pieds dépassaient. Il soupira et s'en alla. Oscar ne pouvait toujours pas croire qu'Alexander avait tiré sur Célia. Cependant, il savait bien que la jeune femme pouvait pousser les gens à bout parfois et c'était là son moindre défaut.

Après être sorti dans le jardin de l'hôpital, Oscar prit une autre entrée et monta les escaliers jusqu'au deuxième étage. Les infirmières habillées de blanc passaient et repassaient devant les salles. Néanmoins aucune ne s'arrêta devant celle où il se rendait.

Enfin, il toqua à la porte et une voix féminine lui dit qu'il pouvait entrer, ce qu'il fit sans se faire prier.

Oscar soupira alors.

« Miss Campbell, je ne pense pas que ce soit une bonne chose de travailler dans votre condition. »

Toujours le nez dans ses papiers, Célia releva la tête et lui sourit.

« Bonjour détective, je n'en ai pas pour longtemps. Mon assistant à Londres et moi devons veiller aux besoins de l'entreprise et c'est d'autant plus important maintenant que nous sommes ruinés.

— Vous avez l'air de bien le prendre », fit Oscar un peu étonné.

La jeune femme haussa les épaules.

« Après tout ce qui s'est passé, le sort de la compagnie importe bien moins que ma santé.

— Et pourtant vous continuez de travailler, remarqua le jeune détective.

— Juste quelques minutes, le strict minimum. je vous le promets. »

Oscar ricana en retour. Célia baissa les yeux sur le sac en papier que tenait le bel homme.

« Qu'est ce que c'est ? Demanda-t-elle.

— Nous avons découvert la robe de chambre d'Alexander.

— Oh, fit-elle. Et Mary ? »

Oscar se pinça les lèvres et secoua la tête.

« Nous ne l'avons toujours pas trouvée, dit-il un peu honteux.

— Ce n'est pas grave détective. Vous faites de votre mieux. »

Son air montrait néanmoins bien au détective qu'elle mentait. Elle était déçue.

Oscar s'assit sur le rebord de son lit.

« Écoutez, je vais faire tout mon possible. Je vous promets qu'on retrouvera son corps, vous avez ma parole. Et je vous dois bien ça.

— En effet, confirma-t-elle. Je vous avais pourtant prévenu que vous alliez faire une erreur un jour et que je serai ravie de vous voir tomber. Ce que je n'arrive pas à comprendre, c'est pourquoi il a fallu que se soit au prix de trois morts et pourquoi je devais être impliquée dedans.

— Un mauvais Karma sans doute, fit-il en posant le sac en papier sur la table de chevet. Au moins vous m'avez fait retrouver un peu d'humilité.

— Et vous en aviez bien besoin. »

Célia ne lui en voulait pas. Elle non plus n'était pas toute blanche dans cette affaire. D'ailleurs, elle se sentait plutôt bien malgré les événements passés.

La balle qui avait transpercé sa poitrine, n'avait touché aucun organe vital et les médecins se demandaient d'ailleurs bien comme cela pouvait être possible. Elle avait été terriblement chanceuse si ce n'est le trou mal rebouché juste en dessous de son cœur qui allait laisser une marque toute sa vie sur sa peau blanche parsemée de taches de rousseur.

Il y avait pourtant tellement de regrets en elle. Mais, étrangement, Célia savait qu'elle allait passer au travers de cette épreuve et cela même si ses remords allaient durer longtemps.

« Et comment va Lord Edward ? demanda soudainement Célia.

— Le pauvre bougre n'a pas arrêté de pleurer depuis qu'il a appris l'exécution de son fils. Les Lewis avait beau dire qu'il était sans cœur, j'imagine qu'on ne peut jamais renier les liens entre un père et son enfant.

— Même pour les Butler ? fit-elle avec une pointe ce sarcasme.

— Même pour les Butler », confirma Oscar.

Célia ricana, puis se tourna vers ses papiers.

« Vous savez détective, le pire dans cette affaire, c'est qu'on me laisse sur le dos une compagnie entière de négoce de thé au bord de la faillite et, comme Alexander et Mary étaient fiancés, j'aurai probablement une partie des terres des Butler à m'occuper, au moins pendant un temps.

— Hé bien, cela pourra peut-être vous aider à régler vos dettes, répondit Oscar.

— C'est là qu'est l'ironie détective, fit-elle en le regardant droit dans les yeux. Je déteste le thé.

— Je sais, enchaîna-t-il en souriant de plus belle. C'est fou, vous ne buvez que du café ! »

Tea & Coffee : Le Crime du Darjeeling-Express (livre I)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant