Chapitre 7

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4 août 1892

Le cri atroce que poussa la jeune servante ce matin-là n'avait rien à envier à la puissance des chanteuses d'opéra, excepté qu'on eut dit que sa voix venait directement des Enfers. C'était comme une flèche qui vous transperçait le tympan, causant à tous ceux qui pouvaient l'entendre, un frisson dans le bas du dos qui remontait jusqu'à la nuque.

Célia se leva en sursautant, réveillée par le hurlement. Encore un peu faible à cause de la veille, elle s'assit d'abord sur son lit et attendit quelques secondes. Le train était toujours à l'arrêt, sûrement à cause du mauvais temps. En effet la pluie ne s'était pas calmée et des trombes d'eau tombaient encore à l'extérieur du train. Dans le couloir, elle entendit des gens courir derrière sa porte. Leur course faisait grincer le plancher et provoquait un son grave qui sembla résonner sur les murs de la cabine. Il y avait du grabuge dehors.

Il était à peine dix heures d'après l'horloge, Célia avait beaucoup dormi. La jeune femme prit finalement appui sur ses pieds et alla mettre une robe de chambre avant de sortir. Juste avant d'ouvrir la porte, elle passa rapidement une main sur son front. Sa fièvre semblait être tombée durant la nuit et, effectivement, elle se sentait beaucoup mieux même si elle se sentait encore un peu faible.

Lorsqu'elle sortit de sa chambre en chemise de nuit, plusieurs passagers la bousculèrent. Tous prenaient la direction de l'arrière du train. Elle s'avança à son tour et passa devant la porte de sa sœur. En baissant les yeux, Célia s'attarda sur un mouchoir juste devant l'entrée de la cabine de Mary, sûrement laissé par un passager qui courait. Il se mouvait comme si une légère brise l'effleurait. Il y avait avoir un courant d'air frai, ce qui était étrange, avec un temps pareil, personne ne devait avoir ouvert une seule fenêtre de peur de laisser la pluie entrer.

La jeune femme se baissa et le ramassa, intriguée. Une drôle d'odeur s'en échappait. Elle l'avait déjà sentie quelque part.

« Miss Campbell ! »

Célia releva la tête et aperçut le colonel Lewis qui s'approchait d'elle du fond du wagon.

« C'est horrible, fit-il en sueur. C'est votre père, il est allongé par terre dans sa chambre. Miss Campbell, il est mort ! »

Célia resta tétanisée pendant un moment, pas certaine de ce qu'elle venait d'entendre. Elle ne s'aperçut pas de la venue Eshaveer et d'Oscar derrière elle. Le médecin passa à côté d'elle sans y faire attention, mais le beau détective se tourna vers elle.

« Venez, Miss Campbell, dit-il en lui tendant la main, retournez dans votre chambre. »

La jeune femme poussa la main du jeune homme et se précipita en courant vers la cabine d'Harold en dépassant le docteur.

« Miss Campbell ! » cria-t-il.

Un attroupement s'était déjà formé autour de la chambre. Avec ses bras, elle se fraya un chemin à travers la foule et entra enfin dans la cabine de son père.

Mister Harold Campbell esq gisait sur le dos au milieu de la pièce, en sous-vêtements et recouvert d'une robe de chambre. Une traînée de sang séché sur son front et une marre derrière la tête qui s'étendait tout autour du cadavre. Eshaveer passa son index et son majeur sur le cou du père. Puis il se tourna vers Célia en prenant une expression grave. Et elle comprit. Il n'y avait plus rien à faire, il était mort.

D'un coup, Célia sentit ses jambes faiblir. Elle posa ses mains sur son visage et recula vers un mur où elle le laissa lentement glisser tout en ne quittant pas la dépouille d'Harold des yeux.

« Il faut que vous vous leviez, Miss Campbell. Il n'est pas bon que vous restiez ici », lui dit Oscar arrivé peu de temps après elle.

Mais elle ne se laissa pas faire et, lorsqu'il lui prit les bras, elle se dégagea aussitôt de sa poigne.

Tea & Coffee : Le Crime du Darjeeling-Express (livre I)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant