2. Him

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-Judith... tu m'écoutes? Je relève les yeux vers Steve, le bleu émeraude qui avait autre fois sa place dans son regard avait disparu, ne laissant que du gris, triste et sans vie. Ses cheveux bruns et décoiffés sont relevés sur sa tête. Je peux lire la joie dans les trais de son visage. Il me sourit légèrement, attendant une réponse.

-Non, désolée, j'étais dans la lune.

-ne me dis pas que tu repensais encore à cette nuit?  Son sourire disparaît laissant vite place à un visage fermé et sans émotions.

- Si. Je baisse les yeux. J'y repensais, si fort que j'en oubliais ce qui m'entourais.

Lorsque je repense à cette nuit, je m'investis tellement dans ce souvenir que je peux presque sentir mon cœur battre dans ma cage thoracique, je peux presque écouter mon pouls s'accélérer dans ma chute.

Il me prend la main et la serre fort dans la sienne, même si j'arrive à peine à sentir le contact de nos deux mains. Ou plutôt à imaginer le contact.

La sensibilité de ma peau a disparue, et ça me manque horriblement. Qu'est-ce que j'aimerais pouvoir frissonner au touché de quelqu'un comme avant.

-Je t'ai déjà dit de ne plus repenser à ça.

-C'est plus fort que moi, ça hante constamment mes pensées. Imagine-toi, si ce soir-là, on n'était pas sortis dehors, ou si on n'avait pas bu. On serait sûrement encore en vie, avec tous les autres. J'affirme lentement, essayant de le convaincre.

Pourtant de nous deux je semble être la seule à toujours revenir sur le passé. Lui est persuadé que ça ne sert à rien, il me le rappelle dès que je m'évade, il me ramène à la réalité.

-mais on ne l'est pas. Regarde le futur, plutôt que de rester dans le passé, tu verras comme tu vas aller mieux.

Je lève les yeux au ciel, et regarde la grande étendue noire qui limite notre univers. Le futur? Quel futur? –Le futur est mort, notre vie appartient au passé Steve.

Notre vie s'est arrêtée et n'avancera plus jamais, je ne peux pas imaginer le futur puisqu'il n'existe pas, je n'existe pas.

Si je pouvais pleurer, une larme aurait probablement coulé sur ma joue à cet instant, mais je ne peux pas.

Steve s'approche de moi doucement pour me prendre dans ses bras, et je m'imagine son touché, la caresse de son bras dans mon dos.

Steve le voit, il sait lui aussi que j'aurais pleuré si des larmes ou quelconque forme de vie était encore présente en nous, et comme à son habitude, il me console.

Il me console chaque fois que je vais mal, chaque fois que je ressors d'un souvenir comme celui-ci.

-Viens, on va marcher pour te changer les idées. Il me sourit et instinctivement un léger sourire éclaire mon visage à cette idée. Sa main est posée sur mon épaule et il la descend lentement le long de mon bras, faisant suivre du regard ses doigts sur ma peau, lui comme moi ne sentons rien, mais nous n'avons pas oublié l'effet que ce genre de caresse aurait eu si on était vivant.

Il attrape ma main et l'enlace avec la sienne doucement, puis me tire pour que je le suive, m'amenant autre part. On marche, vers nulle part. C'est ce qu'on fait constamment, on cherche quelqu'un, quelque chose.

Je ne sais pas depuis combien de temps nous sommes ici, Steve et moi. Quelques fois je me dis que ça fait une éternité, d'autres peut-être quelques jours, quelques heures. Le temps s'est arrêté, tout s'est arrêté, et nous marchons dans les rues qui autre fois étaient pleine de vie, qui aujourd'hui sont mortes.

J'imaginais que lorsqu'on mourrait, une lumière blanche nous amenait auprès de ce fameux Dieu, et auprès de tous les proches qu'on avait perdus, mais c'est faux. Qu'est-ce que j'aimerais revenir sur terre pour tout te raconter, que non, il n'y a pas de personne nommée Dieu ici, que non, nous ne sommes ni en enfer, ni au paradis, mais que nous sommes sur terre.

Oui, sur cette même terre que nous avons habité durant notre vivant, sur la même terre que toi.

Nous sommes tous les deux, sur cette foutu même terre, vide de toute vie humaine ou animale. Seul ce que l'homme a construit se retrouve ici, intact.

Il n'y a que lui et moi, seul, dans cette étendue immense.

Je suppose qu'on est ensemble dans ce monde de merde, Steve et moi, uniquement parce qu'on est mort ensemble, main dans la main. Il m'arrive de me dire que si ce soir-là Steve n'avait pas tenté de m'aider, si il ne m'avait pas suivis dans les bois, ni dans ma chute, je me serais retrouvé ici toute seule.

Quelques fois je culpabilise d'être la cause de sa mort, mais d'autre fois je me rassure de sa présence auprès de moi. La plus part du temps je suis égoïste et je me réjouis du fait qu'il soit mort lui aussi ce soir-là, qu'il soit ici auprès de moi.

Le monde est là, et nous avons une éternité pour le parcourir, mais Steve et moi ne nous sommes jamais vraiment éloignés de Jacksonville. Il nous est arrivé de suivre une même route pendant beaucoup de temps, mais nous sommes toujours revenus ici.

Peut-être dans l'espoir de voir un de nos proches. C'est ce qui nous motive chaque instant ici, l'espoir de, qui sait, peut-être trouver une forme humaine ici, autre que nous.

-Tu veux aller où ? Il brise le silence qui s'était installé avec une question habituelle. Où est ce qu'on ira, cette fois ? Jusqu'où marcherons-nous, vers quel but ?

- A la falaise. Il me regarde, peu sûr de lui et je vois l'inquiétude sur ses yeux ternes.

-T'es sûre, Judith ? Il ne veut pas y aller, non, il n'aime pas cet endroit qui lui rappelle sans cesse sa mort, mais moi j'aime.

J'aime m'asseoir au bord de ce foutu ravin au milieu des bois, pour la maudire intérieurement de m'avoir ôté la vie.

-Absolument certaine. J'essaie de le regarder avec des yeux persuasifs, mais je ne suis pas douée pour ce genre de choses.

-Il y a peu de chances qu'il y ait quelqu'un là-bas, tu sais. Il essaie de me faire changer d'avis mais je réponds du tac au tac

-de toute façon il y a peu de chances qu'il y ait quelqu'un tout court. Je sais où appuyer pour être persuasive, et c'est un fait. Qu'on aille à la falaise ou autre part, on ne croisera de toute façon personne. On est seul ici, mais Steve se butte à croire que non.

-Ne soit pas pessimiste, on en a déjà vu. Il m'a dit un jour avoir vu une vieille dame, mais je ne le crois pas.

Il s'était rendu au cimetière et j'étais allé autre part, contrairement à lui je n'aime pas cet endroit glauque où mon corps repose. Lui il est persuadé que c'est l'endroit le plus probable où trouver quelqu'un.

Lorsqu'il m'avait retrouvé il m'avait dit avoir vu une vieille dame déposer des fleurs, quelques seconde, un seul instant, mais j'ai du mal à le croire. On est seul ici, pourquoi il aurait vu une vielle dame et personne d'autre ?

Pourtant il avait raison parce qu'une autre fois on était tous les deux devant notre tombe et on l'avait vu, ensemble.

- Je sais, et je veux aller à la falaise. Je marque une légère pause. -Et si tu ne veux pas me suivre, j'irais seule.

-je ne veux pas te laisser seule. Il attrape brusquement mon bras, m'empêchant de partir, comme s'il avait peur de me perdre, mais j'ôte lentement sa main de mon bras m'approchant de son oreille afin de le rassurer le plus bas possible.

-Ne t'inquiète pas pour moi. Il ne peut rien m'arriver, je suis déjà morte.

Il relève les yeux vers mon visage et met son pouce sous mon menton, relevant ma tête en face de la sienne. Son regard est incertain, je peux voir la peur dans ces yeux mais je sais qu'il va me laisser y aller. Il n'a pas le choix, de toute façon.

On a du mal à rester trop longtemps séparés, lorsqu'on prend des directions différentes, on finit toujours par se retrouver, comme deux aimant. C'est comme ça, on ne sait rien y faire, mais ça me rassure, de l'avoir avec moi.

J'aurais peur, d'être toute seule ici.

Beyond the life.Où les histoires vivent. Découvrez maintenant